INTRODUCTION
Les droits culturels sont-ils un outil efficace pour défendre la diversité culturelle ou au contraire sont-ils, comme l’énonce non sans provocation Alain Touraine, potentiellement opposés à l’idée de la citoyenneté ?
« Si les droits culturels mobilisent plus fortement que les autres, c’est parce qu’ils sont plus concrets et qu’ils concernent toujours une population particulière, presque toujours minoritaire. Mais du coup, leur revendication expose à de plus grands dangers, ceux que font courir tous les particularismes : brefs ils menacent le principe même du « vivre ensemble ». L’idée des droits culturels semble, en outre, s’opposer directement à celle de citoyenneté »[1].
Cette question n’est pas neuve, mais elle recouvre une nouvelle résonnance par l’intégration progressive de ces droits dans les politiques publiques. La lutte pour la défense des droits sociaux, économiques et culturels et la mission des associations d’éducation permanente ont toujours été proches. Au point que la défense de ces droits s’inscrit dès 2003 dans le décret relatif à l’Éducation permanente[2] comme le rappelle Céline Romainville :
« [La] consolidation des droits culturels sur la scène juridique doit être mise en relation avec la montée en puissance du référentiel des droits humains, de manière générale, dans l’ordre politique. Depuis quelques décennies, la définition des politiques publiques se formule de plus en plus souvent en termes de droits humains. (…) En Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’est notamment imposé, au tournant du siècle, en matière d’Éducation permanente »[3].
L’auteure souligne que cette tendance d’intégrer les droits fondamentaux dans les politiques publiques, si elle se veut inclusive et progressive, se fait néanmoins sans que soit interrogée la question réflexive de l’utilisation de ces droits comme des politiques publiques[4]. Cette tension se retrouve chez les opérateurs d’éducation permanente qui se voient soumis à porter auprès de leurs publics l’injonction contradictoire qui consiste à leur dire : « Émancipez-vous ! ».
En effet, tout l’enjeu d’une politique culturelle est de parvenir à intégrer l’idéal des droits culturels dans sa réalisation concrète sur le terrain, car, comme le rappelle Patrice Meyer-Bisch, « Les droits culturels protègent précisément le lien (d’identification, d’appropriation) entre le sujet et ses milieux, entre les sujets. Ce sont les droits qui autorisent chaque personne, seule ou en commun, à développer la création de ses capacités ; ils permettent à̀ chacun de se nourrir de la culture comme le premier lien social »[5]. Nous avons donc choisi de comprendre en quoi les droits humains et en particulier les droits culturels pouvaient orienter le travail du monde associatif tout en intégrant la dimension « capacitatrice » de la mission pédagogique de l’éducation permanente et en évitant de considérer son public uniquement sous l’angle de la victime de la privation de droits, mais bien comme l’acteur de la politique culturelle visée[6].
Afin de poser ces questions, un bref détour par la question de quelle est la culture pour laquelle le sujet est porteur de droit est nécessaire afin de pouvoir comprendre la nature de ces droits eux-mêmes. Cette étude va donc tenter de définir les contours de la notion de culture comprise comme enjeu d’une politique culturelle pour ensuite dresser une courte généalogie de l’origine de ces droits culturels afin de les relier à la question de la protection contre la discrimination. Ce parcours nous permettra de comprendre à quelles conditions une politique culturelle peut réellement inclure les groupes minoritaires et les populations discriminées et leur permettre une réelle participation à la vie culturelle.
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- [1] Alain Touraine, Le nouveau paradigme, Paris, le Livre de poche, 2005, pp. 270-271.
- [2] L’article 1 du décret du 17 juillet 2003 relatif au soutien de l’action associative dans le champ de l’Éducation permanente décrit son objet comme suit: “Le présent décret a pour objet le développement de l’action associative dans le champ de l’éducation permanente visant l’analyse critique de la société, la stimulation d’initiatives démocratiques et collectives, le développement de la citoyenneté active et l’exercice des droits sociaux, culturels, environnementaux et économiques dans une perspective d’émancipation individuelle et collective des publics en privilégiant la participation active des publics visés et l’expression culturelle » (nous soulignons).
- [3] Céline Romainville, Neuf essentiels pour comprendre les « Droits culturels » et le droit à participer à la vie culturelle, Culture et Démocratie, 2013, p. 13.
- [4] L’auteure cite à ce sujet Marcel Gauchet qui, dans “La démocratie contre elle-même”, soutient que les droits humains ne sont pas une politique publique, in Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, cité par Romainville, op. cit., p. 13. Voir aussi Marcel Gauchet, « Quand les Droits de l’Homme deviennent une politique », in Le Débat, 2000/3 – n° 110, pp. 258-288.
- [5] Patrice Meyer-Bisch, « Le droit de participer à la vie culturelle, premier facteur de liberté et d’inclusion sociale », in Le rôle de la culture dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Service général de la Jeunesse et de l’Éducation permanente, Administration générale de la Culture, Collection Culture Éducation permanente N°19, 2013, p. 72.
- [6] Christian Maurel disait déjà dans une interview de 2011 : « L’éducation populaire, c’est la dimension culturelle du mouvement social » in Jean-Luc Degée, « Christian Maurel : L’Éducation populaire, à la fois grain de sable et goutte d’huile du système », in Agir par la Culture n°27 / Automne 2011, accessible à http://www.agirparlaculture.be/index.php/education-populaire/37-christian-maurel-leducation-populaire-grain-de-sable-et-goutte-dhuile-du-systeme (consulté le 11 décembre 2016)