La récente levée de fonds de la banque coopérative NewB, qui a donné lieu à une large campagne publicitaire, fait couler beaucoup d’encre dans la presse et sur les réseaux sociaux[1]. Il faut dire que le projet a suscité un engouement d’ampleur : près de 70.000 citoyen.nes et 150 organisations sont devenus coopérateur·trices·s afin de relever le pari de réunir les 30 millions nécessaires à la constitution d’un capital suffisant en vue de l’obtention de la licence bancaire auprès de la Banque Centrale Européenne. Parmi les organisations participantes, outre certains pouvoirs publics (société d’investissement de la Région Wallonne, Région Bruxelloise) et des universités, c’est surtout la société civile, impliquée dans le projet depuis sa création en 2011, qui a été mobilisée dans ce que l’on pourrait bien appeler un mouvement social. Des organisations syndicales, des associations d’éducation permanente, des maisons médicales, des ONG actives dans la régulation du secteur bancaire, des entreprises sociales, etc.[2] ont ainsi largement adhéré à l’idée qu’une banque coopérative « éthique » et « durable », pour reprendre les termes de NewB, doive voir le jour en Belgique.
Alors que les citoyen·ne·s ayant pris une part dans NewB l’ont fait par conviction dans le projet, la dimension fondamentalement idéologique de cette participation financière, nous semble-t-il, a été assez mal traitée par les intellectuels (au sens large : journalistes, commentateurs, militants et analystes) à droite comme à gauche du spectre politique. Parmi les intellectuels libéraux, le traitement de NewB s’est bien souvent réduit aux aspects techniques et pragmatiques (« le projet est-il réaliste ? »), évaluant le projet bancaire selon une rationalité purement économique, lui ôtant par ce fait même toute sa portée politique[3]. Comme c’est souvent le cas dès qu’il s’agit de produire du savoir sur les banques, la parole légitime qui s’est imposée est celle de l’expertise technocratique et supposément neutre, relayant les lois du marché et les préoccupations de l’homo economicus lambda cherchant à placer son argent en bon père de famille. De cette manière, la participation à NewB est interprétée en appliquant une lecture du fait économique propre à l’orthodoxie libérale, à savoir la réduction des ressorts de l’action aux logiques du calcul et de l’évaluation des risques[4], tout en extrayant le projet de son contexte sociohistorique comme s’il apparaissait ex nihilo. La portée idéologique du projet est alors simplement ignorée.
D’un autre côté, nous avons pu observer, à gauche, une attitude qui consiste à dénigrer le projet NewB précisément pour sa portée idéologique[5]. Sur les réseaux sociaux, on a eu affaire à un arsenal de commentaires affirmant que NewB ne fait que bercer d’« illusion » les citoyens qui perçoivent dans le projet de la banque coopérative une alternative crédible au système bancaire actuel. Ici, la portée idéologique de NewB n’est plus balayée d’un revers de main, mais elle est suspecte car elle trompe les citoyens ordinaires. Nous ne sommes pas toujours loin d’une lecture de l’idéologie en termes de fausse conscience : les coopérateurs ne se « rendent pas compte » que c’est une fausse bonne idée et qu’il n’est véritablement pas possible de faire du social et de l’écologie tant que l’on restera dans le système capitaliste. Le mépris est même parfois clairement affiché lorsqu’il s’agit de prêter aux milliers de citoyen·ne·s une seule et même intention, celle par exemple de faire un geste individuel facile en participant au projet sans que cela change leur fin de mois, afin de se donner l’impression de « faire quelque chose de bien » ou même de « changer le monde ». Il nous semble pourtant que penser la possibilité de créer une banque et travailler depuis plusieurs années pour qu’elle voie le jour, c’est autre chose que de faire pipi sous la douche. La communication promotionnelle de NewB a effectivement été agaçante par son côté présomptueux (« Changer la banque pour de bon ») bien qu’elle s’explique par l’ « effet de com’ » indispensable au succès de la levée de fonds, mais il est réducteur d’en déduire que tous les citoyen·ne·s ayant participé pensent naïvement qu’il s’agit effectivement de « la » solution qui va révolutionner le système bancaire. Peut-on réellement penser que les milliers de coopérateurs sont des « idiots culturels », émergés dans un nuage d’ignorance et bêtement séduits par un « joujou éthique » ? Si la critique de gauche (et d’une certaine manière de droite) est plus que nécessaire sur tout ce qui pose question dans le projet de la banque coopérative, elle s’interroge en réalité fort peu sur les ressorts de l’action des citoyens. La complexité du mouvement social est réduite à quelques formules toutes faites et la participation au projet est critiquée a priori, ce qui empêche de voir l’engouement massif pour NewB comme un phénomène social à prendre au sérieux.
Nous pensons ainsi qu’il est fondamental de s’interroger aussi (et peut-être avant tout) sur le « pourquoi » de NewB, c’est-à-dire les raisons de son succès, et pas uniquement sur ce que ce projet devrait être idéalement. Cela permettrait de mieux comprendre les formes concrètes de consciences et de pratiques politiques contemporaines, et de s’y confronter pour construire les luttes à venir. Afin de répondre à cette interrogation, c’est une tout autre approche de l’idéologie que nous défendons ici. Nous rejoignons Stuart Hall lorsqu’il affirme :
« La première chose à se demander, à propos de l’idéologie « organique » qui réussit, aussi surprenant que cela paraisse, à organiser de larges sections des masses et à les mobiliser pour l’action politique, ce n’est pas ce qui, en elle, est faux, mais ce qui est vrai. Par « vrai » je ne veux pas dire universellement correct, comme une loi de l’univers, mais comme quelque chose qui « fait sens », ce qui – laissant la science d’un côté – est généralement bien assez pour l’idéologie. »[6]
Reprenant ainsi la vision de l’idéologie formulée par Antonio Gramsci, Stuart Hall la considère comme une conception du monde qui « fait sens », non pas parce qu’elle manipule de manière fallacieuse le sens commun mais parce qu’elle rentre en dialogue avec des idées, des valeurs, qui sont déjà là :
« Le sens commun est lui-même une structure de l’idéologie populaire, une conception spontanée du monde qui reflète les traces des précédents systèmes de pensée qui se sont sédimentés dans le raisonnement quotidien »[7]
Ainsi, le sens commun n’est pas « bon » ou « mauvais » en soi : il est le résultat de couches de socialisation et de formes de pensées desquels résultent des consciences équivoques et fondées sur des éléments contradictoires. En ce sens, les idéologies sont des luttes politiques, c’est-à-dire des luttes entre des projets hégémoniques concurrents, plus ou moins capable de rencontrer tel ou tel élément du sens commun – et il semblerait que « l’idéologie NewB » ait marqué des points… Plutôt que de voir en quoi le projet NewB a tort, suivons donc Stuart Hall et regardons ce qu’il exprime de « vrai ». Pour bien comprendre, il ne s’agit pas ici de se positionner « pour » ou « contre » NewB, mais de comprendre pourquoi elle a « marché » dans le champ de la lutte idéologique contemporaine. Les coopérateur·trices ont adhéré au projet de manière spontanée, sans forcément développer un savoir théorique sur la banque coopérative, mais parce que cela faisait sens pour eux·elles. Sans pouvoir ici aborder en profondeur toutes les raisons qu’ont les citoyen·ne·s de s’être retrouvé·e·s dans le projet, nous en citerons trois qui partent d’une hypothèse : la banque NewB est une réaction au contexte post-2008, sensée et ambivalente à la fois, porteuse d’une certaine critique sociale et étroitement liée au tissu social de la société civile capable de porter des mobilisations.
1. Après la crise de 2008, le système bancaire mondial se maintient
Il est surprenant que peu de parallèles aient été faits entre la crise économique mondiale de 2008 et la création de NewB, à l’exception (tiens !) des initiateurs mêmes du projet. Au lendemain de la crise, on assiste à une « contagion » protestataire qui dénonce le pouvoir du capitalisme financier sur les individus et qui exprime un profond sentiment de dépossession face aux décisions économiques[8]. Le mouvement Occupy Wall Street, qui s’est directement défini contre les grandes banques, renflouées sur le dos de la population, a trouvé des retentissements dans différents endroits du monde et s’est articulé à des enjeux locaux. En Turquie, les occupants de la place Taksim ont rallié ceux du Parc Gezi qui luttaient contre la spéculation immobilière promue par le gouvernement ; en Espagne, le mouvement du 15 mai (15 de Mayo) a contesté tant les expulsions immobilières que l’oligarchie politique et économique et les Indignés ont eu un écho dans plusieurs pays d’Europe ; des mouvements étudiants ont eu lieu au Québec et au Chili contre le coût des études et la dette étudiante ; les grecs ont durement lutté contre les plans d’austérité imposés par la Troïka européenne (FMI, BCE et Commission européenne). Que ce soit à travers une contestation des institutions bancaires, de la dette et de la précarité induite par le capital financier ou des politiques d’austérité imposées par les institutions européennes, ces mouvements sociaux ont contribué à produire des consciences politiques nouvelles, ouvrant des possibilités de penser autrement le système bancaire. Les questions de savoir qui dirige les banques et à quoi elles sont destinées ont pu être formulées, déstabilisant par-là l’idéologie dominante du secteur bancaire. Pour reprendre le constat de Stuart Hall lorsqu’il interprète l’avènement du thatchérisme : « la société entrait dans cette ère de contestations, de crises et d’alarmes qui accompagne souvent les luttes pour la formation d’une nouvelle étape hégémonique »[9]. Cependant, ces mouvements ont été souvent durement réprimés, et malgré l’onde de choc produite par la crise économique, ils n’ont pas permis de transformer le fonctionnement du système bancaire. Les réglementations mises en place n’ont pas eu les effets escomptés et tout est en place pour qu’une nouvelle crise éclate, alors même que les finances des États sont au plus bas[10].
La Belgique n’a pas été épargnée par les répercussions de la crise économique. Sur les quatre grandes banques qui concentrent 80% du marché (les actuelles BNP Paribas Fortis, Belfius, KBC et ING qui dominent toujours le paysage bancaire belge aujourd’hui), trois seraient tombées en faillite sans intervention des pouvoirs publics. Parmi les mobilisations sociales du pays (la marche des Indignés à Bruxelles en 2011, le mouvement syndical de 2014 ayant mené à des grèves tournantes et générales), il y a justement NewB : en deux ans, après sa création en 2011, 43.000 citoyens rejoignent le projet[11].
2. Un référentiel discursif consensuel et mou, mais non sans éléments d’une critique sociale plus profonde
Le projet NewB s’est ainsi développé dans un contexte de profondes remises en question des marchés financiers et participe d’un regain d’intérêt observé ailleurs pour des modèles bancaires différents[12]. Pour voir le jour, ses initiateurs ont cependant utilisé un référentiel discursif rassembleur qui ne permet pas à première vue de distinguer aisément cette future banque des autres. Ainsi, au JT de la RTBF, Bernard Bayot, président de NewB, explique au grand public que :
« La promesse NewB c’est de changer radicalement le logiciel bancaire, c’est-à-dire avoir à la fois une banque qui est stable et qui finance le développement durable et la transition climatique. Par exemple, les crédits qui vont être octroyés, les 200 millions qui vont être octroyés durant les cinq prochaines années, c’est exclusivement dans le financement de la mobilité douce, dans la performance énergétique des bâtiments et des énergies renouvelables. On est donc sûr que si on met 1000 euros sur un compte d’épargne, c’est exclusivement utilisé à des crédits favorables à la transition climatique. »[13]
La campagne promotionnelle de NewB s’est ainsi surtout centrée sur les investissements utiles à la transition énergétique, relayant une pensée écologique consensuelle et apolitique. Il est clair qu’il faut discuter, sur le fond, de toutes les limites des produits financiers labellisés Financité/Fairfin dont NewB se prévaut, et plus globalement de l’investissement « éthique », dans lesquels on retrouve les investissements socialement responsables (ISR) qui s’intègrent au système bancaire actuel et qui fournissent même de nouveaux débouchés pour le capital. Mais en rester à cet élément pour comprendre le succès de NewB n’est pas suffisant, même si l’argument a pu être repris dans les principales critiques du projet[14]. À notre connaissance, les campagnes de « greenwashing » de BNP Paribas Fortis, qui utilise aisément l’ISR pour répondre à la critique sociale, n’ont pas suscité autant d’enthousiasme de la part des citoyens. BNP Paribas Fortis est pourtant largement le plus gros vendeur de produits ISR : 34,73% du marché, contre seulement, à titre comparatif, 1,21% pour Triodos ![15] Au contraire, on peut même affirmer, suivant Benson et Kirsch, que les stratégies des entreprises afin de justifier des activités pointées du doigt pour leur nocivité produisent dans la population une structure de sentiments caractérisée par le cynisme : les individus développent une distance cynique – une contestation sourde – face à ces tentatives de reproduire l’idéologie dominante[16]. Brandir la carte de l’investissement « éthique » n’est donc pas suffisant pour produire du consentement.
Autrement dit, si le projet a rassemblé de larges fractions de la population, ce n’est pas uniquement parce qu’il est dans l’air du temps, inscrit dans un fond idéologique « acceptable », utilisant le champ lexical de l’éthique, du durable, de la justice sociale et environnementale sans distanciation avec le jargon de la FEBEA (Fédération européenne des finances et banques éthiques et alternatives). Nous pensons que NewB, en proposant un modèle bancaire si pas alternatif en tout cas différent, constitue également, à sa manière, une réponse à des éléments contemporains de la critique sociale, parmi lesquels le déficit de démocratie économique et l’augmentation des inégalités sociales.
D’abord, en choisissant le modèle d’une banque coopérative, NewB revendique un idéal d’entreprise dans laquelle la propriété est collectivisée et où le contrôle sur les processus décisionnels de la banque est plus démocratique. Le principe est que chaque coopérateur·trice, indépendamment du montant du capital investi, a le même pouvoir décisionnel selon le principe d’un seul vote par coopérateur (contrairement au droit de vote proportionnel aux actions détenues). Concrètement, pour qu’une décision soit approuvée, il faut une majorité dans les trois collèges (A, B, C, selon respectivement les associations, les citoyens et les institutions publiques et financières). Un collège peut donc s’opposer à une décision, mais ne peut pas en imposer une tout seul[17]. Certes, il faut souligner que les coopérateur·trice·s, ne serait-ce que par la manière dont ils·elles sont réparti·e·s dans les trois collèges (des milliers de voix dans le collège des citoyens, seulement quelque unes dans celui des institutions publiques et financières) n’ont, dans les faits, pas tous les même poids. Mais du moins cette structure matérialise-t-elle les tensions internes au projet et les intérêts potentiellement différents entre les institutions financières et les autres types de coopérateurs·trices.
Ensuite, en revenant à des activités bancaires de base, comme la conservation des dépôts, le système des moyens de paiement et le crédit essentiellement, NewB défend l’idée que les fonctions bancaires peuvent être effectivement un service public utile pour la population et non un lieu de spéculation financière ; utile au quotidien dans les services mis à disposition, mais également utile pour le futur, en choisissant de manière prioritaire les projets qui méritent d’être financés. Cette revendication de « service public » a été d’autant plus courante après la crise de 2008 que s’en est suivi une suppression impressionnante des services de proximité des banques comme le nombre d’agences et de distributeurs de billets. C’est également à partir de ce point que Lordon, dans le livre qui fournit sa réponse à la crise (La crise de trop. Reconstruction d’un monde failli), formule la nécessité de dé-privatiser ces fonctions bancaires :
« Si donc on prend au sérieux que les dépôts, les épargnes et des possibilités minimales de crédit doivent être considérés comme des biens publics vitaux pour la société marchande, il s’en déduit qu’on n’en remet pas la garde à des intérêts privés, à plus forte raison quand ils sont aussi mal éclairés que des banques profondément engagées dans les activités de marchés financiers et sans cesse exposées à leurs tendances déséquilibrantes. »[18]
Enfin, on retrouve des éléments qui ne sont pas directement liés à l’identification de fonctions bancaires utiles mais qui sont clairement une réaction située aux injustices sociales grandissantes. Ainsi, au modèle économique coopératif s’ajoutent d’autres principes qui semblent avoir été piochés ci et là dans une grammaire contestataire de type « réformiste-égalitaire » : les employés de NewB travaillent sans bonus, sont rémunérés selon une tension salariale de 1 à 5 et les voitures de société (tant décriées pour être injustes fiscalement[19]) sont proscrites. De cette manière, le projet NewB a suscité de l’enthousiasme aussi parce qu’il formule des revendications plus larges qui ont une portée morale. Sans aller jusqu’à une condamnation explicite du système actuel (dommage…), le projet s’est construit sur certaines valeurs, normes et pratiques qui ensemble donnent à voir les contours d’un fonctionnement jugé plus « juste » de l’économie actuelle. NewB limite également les dividendes versés à un maximum de 6% et annonce qu’il n’est pas possible de faire du profit en revendant ses parts[20]. Money must serve, not rule, comme disait le Pape François.
3. Une tradition de banque coopérative bien ancrée dans la société civile
NewB constitue finalement une réaction à la crise économique bien « à la belge » : le projet s’est développé et a été soutenu au sein de la société civile et s’en est inspiré pour imaginer une société coopérative, de telle sorte que l’on peut voir NewB comme la réponse de cette dernière à la crise économique. Les ressources du projet ont été puisées dans les organisations qui la composent, dans les structures toujours solides du tissu associatif et dans ses traditions historiques[21]. Il ne faut en effet pas remonter très loin dans le temps (en fait jusqu’à la fin des années 1980) pour trouver, à côté des banques privées, non seulement des institutions financières publiques mais aussi des banques mutualistes et coopératives populaires. Les origines des banques populaires et ouvrières datent de la fin du XIXème et sont étroitement liées en Belgique au développement des piliers socialistes et chrétiens. L’idée de créer une banque à côté des organisations syndicales, des mutuelles, des maisons du peuple et des coopératives commerciales, s’est développée comme allant de soi pour construire un mouvement social. Les caisses de grève, notamment, devaient être gérées facilement et il valait mieux garder l’argent sous la main. Pour cela, le mouvement ouvrier socialiste et le mouvement ouvrier chrétien s’étaient dotés de leur propre banque (respectivement, la Codep et la Bacop)[22]. Au vu de ce que sont devenues ces banques, progressivement absorbées au sein de grand groupes bancaires privés, il est nécessaire que NewB puisse s’approprier de manière critique cette histoire, afin de mieux faire ses armes dans un environnement hostile et bien différent de celui ayant mené au paysage bancaire précédent.
Conclusion
Il semble donc que dans les nombreux débats autour de NewB un élément soit sous-estimé. Si la banque coopérative a suscité un tel engouement, c’est parce qu’elle remplit un vide : depuis la crise de 2008, il y a eu peu de propositions concrètes pour changer le système bancaire. Notamment, si les militant·e·s de la plateforme « Belfius est à nous »[23] réinvestissent l’idée qu’une banque nationalisée devrait de toute évidence appartenir à sa population, on constate surtout la quasi-absence des revendications de nationalisation ou de socialisation des banques sous contrôle démocratique. Or une banque de ce type pourrait être une alliée de taille pour que NewB ne se fasse pas manger dans les années à venir. Il faudra sans doute, dans le cadre d’une analyse plus approfondie des formes concrètes de consciences politiques, se demander pourquoi des propositions visant une transformation structurelle du système bancaire peinent à émerger et surtout à résonner avec le sens commun. Du moins, face au cynisme, à la résignation ou à l’absence d’alternative plus globale, NewB fait sens parce qu’il constitue à la fois une réponse ambitieuse, créer de toute pièce une banque, et un projet dans lequel les citoyen·ne·s perçoivent qu’il est possible d’agir concrètement sans devoir forcément se confronter ouvertement au système capitaliste. C’est ce qui marque, sans doute, la coloration idéologique spécifique de NewB et, dans un contexte de contradictions sociales grandissantes, toute son ambivalence : celle de vouloir réaffirmer une forme de « démocratie économique citoyenne » dans un horizon politique qui n’identifie pas les limites du mode de production actuel – limites dont on pourrait bien croire qu’elles empêchent pourtant cette démocratie progressiste d’exister et de prospérer. Espérons dès lors que la banque coopérative puisse être un lieu d’expérimentation politique utile et réellement participatif et que les dimensions politiques et idéologiques du projet soient discutées au sein même de NewB (en termes notamment d’investissement prioritaires). Si comme l’observe Saurin « la pensée économique hétérodoxe est « pauvre en monde bancaire alternatif » »[24], nous pensons que l’intérêt de NewB se situe précisément là : la banque coopérative peut être le Cheval de Troie, sinon d’une transformation structurelle du mode de production capitaliste, du moins d’un élargissement des imaginaires politiques susceptibles de penser un autre projet de société dans lequel la banque a un rôle à jouer.
Cécile PIRET
Chargée de recherche à l’ARC asbl
- [1] Je remercie chaudement Aline Farès pour sa relecture de cette analyse
- [2] Pour voir la liste complète des contributeurs, voir sur le site de NewB : https://www.newb.coop/fr/supporters/organizations
- [3] Voir notamment : « Y a-t-il de bonnes raisons d’investir dans NewB ? », L’Echo, 26/11/2019 ; « Les doutes des banquiers sur le business plan de NewB : « Lancer un compte à vue coûte une fortune pour une banque » », La Libre Eco, 04/12/19.
- [4] Bourdieu, P., « Le champ économique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1997, n°119, pp.48-66.
- [5] Voir notamment : Wathelet E., « NewB, l’ambulance et le Cheval de Troie ». En ligne : https://www.investigaction.net/fr/newb-lambulance-et-le-cheval-de-troie/ ; Sel, M., « NewB, le joujou éthique qui fait crac boum hue ». En ligne : http://blog.marcelsel.com/2019/12/02/newb-le-joujou-ethique-qui-fait-crac-boum-hue/
- [6] Hall, S., Identités et cultures. Politiques des cultural studies Editions Amsterdam, Paris, 2017, p. 344.
- [7] Hall, S., Op. Cit., p.360.
- [8] Burawoy, M., « Facing an Unequal World », Current Sociology, Vol. 63 (I), 5-34, 2015.
- [9] Hall, S., Op. Cit., p.329.
- [10] Farès, A., « Les leçons de la crise de 2008 n’ont pas été tirées », Econosphères, 2016. URL : http://www.econospheres.be/Les-lecons-de-la-crise-de-2008-n
- [11] https://www.newb.coop/fr/home
- [12] Farès, A., « Que penser de l’expansion en Europe des « alternatives » au modèle bancaire dominant ? », CADTM, 2018. URL : http://www.cadtm.org/Que-penser-de-l-expansion-en-Europe-des-alternatives-au-modele-bancaire
- [13] JT de 19h30 (RTBF), 22.11.2019.
- [14] Voir notamment Wathelet E., « NewB, l’ambulance et le Cheval de Troie ». En ligne : https://www.investigaction.net/fr/newb-lambulance-et-le-cheval-de-troie/
- [15] « En Belgique, l’investissement « durable » pèse 15% du marché », Le Soir, 07/11/2019.
- [16] Benson, P., Kirsch, S., « Capitalism and the Politics of Resignation », Current Anthropology, Vol. 51, n°4, 2010, pp. 459-486.
- [17] Statuts de NewB. Disponible en ligne : https://newbdata.blob.core.windows.net/publicstorage/fr/webdocuments/statuts-newb.pdf
- [18] Cité par Saurin, P., « Pourquoi la socialisation du secteur bancaire est-elle préférable au système bancaire privé actuel ? », Analyse du CATDM, 2018. URL : http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=15780#nb75
- [19] May, X., « Les voitures de société : quel est le problème ? », Observatoire belge des inégalités, 2019. URL : http://inegalites.be/Les-voitures-de-societe-quel-est
- [20] Site de NewB. URL : https://www.newb.coop/fr/values
- [21] Voir notamment à ce sujet Faniel, J., Gobin C. et Paternotte D. « Les mouvements sociaux en Belgique, entre pilarisation et dépilarisation », Les analyses du CRISP, 2017.
- [22] Goldman, H., « Vive la NewB », Politique, revue belge d’analyse et de débat, 2013. URL : https://www.revuepolitique.be/vive-la-new-b/#marker-2701-1
- [23] http://www.belfiusestanous.be/
- [24] Saurin, P., « Pourquoi la socialisation du secteur bancaire est-elle préférable au système bancaire privé actuel ? », Analyse du CATDM, 2018. URL : http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=15780#nb75