Introduction
Comment, dans le contexte du capitalisme néolibéral contemporain, élucider l’ambivalence fondamentale des relations – multiples, complexes et évolutives – existant entre les associations et l’État ? Derrière cette interrogation d’ordre général, qui détermine l’objet global de la présente étude, se trouve une autre problématique plus spécifique qui va constituer de fait la réflexion que nous voudrions proposer ici. En effet, au-delà du rapport ambivalent qu’entretiennent les associations socio-culturelles avec l’État et ses formes particulières, nous pensons qu’une relative indétermination du concept d’État[1] est au centre de l’action des associations et que cette indétermination est, précisément, ce qui induit les principales ambiguïtés qui frappent les relations entre le champ associatif et l’État. D’abord difficile à délimiter pour lui-même (qu’est-ce que l’« État » ? Où exerce-t-il son pouvoir et par quel biais ? Quelles institutions le constituent et, par-là même, quelles sont ses prérogatives ? etc.), l’État est tour à tour perçu par les associations comme un partenaire, un ennemi, un intermédiaire, un destinataire, un agent de contrôle, un financeur, suivant la perspective depuis laquelle elles sont amenées à devoir le considérer. Mais, plus profondément encore, le champ associatif est et se sait en réalité, aujourd’hui, indissociable de la forme-État elle-même et de la façon dont cette dernière se reconfigure sous l’effet de la recomposition contemporaine du capitalisme. De sorte que, comme le suggèrent Simon Cottin-Marx et al., réfléchir au devenir des associations revient désormais – d’un certain point de vue – à penser l’évolution de l’État lui-même : « la question des relations entre l’État et les associations doit être renouvelée en la plaçant dans la perspective plus générale de l’évolution de l’État »[2]. Ce raisonnement qui semble abstrait est, pourtant, tout à fait essentiel pour discuter et penser un problème très concret de notre présent : celui de l’encastrement, aussi palpable que tendanciel, des résistances au pouvoir capitaliste (notamment, en ce qui nous concerne, celles portées par les associations socio-culturelles) dans l’État comme ce qui assure la reproduction sur le long terme du système capitaliste, en particulier dans sa configuration néolibérale. Notre hypothèse sera alors la suivante : qu’un lien intime existe entre, d’une part, une certaine difficulté des associations socio-culturelles à penser l’État et son rôle, et d’autre part, l’impuissance caractérisée de nombreuses luttes portées par ces mêmes associations à atteindre leur objectif déclaré qui est de transformer la société et d’en permettre la critique.
Afin de déplier cette hypothèse, nous tenterons d’abord de proposer une déconstruction épistémologique de ce qu’implique l’acte de penser l’État et, dans le même geste, nous évaluerons les modalités possibles d’une pensée de l’État sur lui-même par le biais des associations. Nous essayerons alors, sur base de ces éléments liminaires, d’analyser comment les associations subsidiées et les luttes qu’elles mènent sont traversées par les ambiguïtés intrinsèques aux types de relations et de conceptions de l’État qui s’y déploient. En particulier, nous proposerons de mobiliser le concept althussérien d’appareil idéologique de l’État pour éclairer la particularité fonctionnelle des associations dans l’exercice du pouvoir d’État et leur rôle dans la construction de l’hégémonie de l’idéologie dominante. Ces éléments de déconstructions critiques pourront alors servir, nous l’espérons, à mieux cerner les possibilités stratégiques réelles pour se soustraire, au sein des associations, à la domination du pouvoir d’État et à l’encastrement idéologique du travail associatif qui en découle.
Que signifie penser l’État ?
Avant toute chose, étant entendu que notre analyse repose sur cette hypothèse d’une relative incapacité structurelle à penser, au sein des associations, l’État et ses formes, il nous revient de déterminer plus précisément ce que peut bien signifier penser l’État. Cette analyse est absolument cruciale pour déterminer comment la question de l’État est de facto problématique, en raison de la difficulté pour les individus et les structures sociales de percevoir l’État comme un objet, c’est-à-dire comme une entité externe qui pourrait être thématisée de façon autonome, dans une position d’extériorité par rapport à lui. L’usage même de l’expression « l’État » pour désigner cette forme d’institution particulière pose problème parce que cela revient à le constituer en un genre de sujet historique qui serait, de façon presque individualisée, capable de poser et de réaliser ses propres fins historiques. Or, il est évidemment difficile d’identifier l’État de cette façon, au point qu’on peut se demander si, outre le mot qui le désigne, il existe véritablement une institution qui lui correspond : qui incarne cette puissance, qui la représente, et qui est vraiment légitime à agir et parler en son nom ?
Une conséquence de cette difficulté, très justement pointée par Bourdieu comme le problème originel de toute critique de la forme-État, s’applique parfaitement à la question que nous avons ici à discuter :
Entreprendre de penser l’État, c’est s’exposer à reprendre à son compte une pensée d’État, à appliquer à l’État des catégories de pensée produites et garanties par l’État, donc à méconnaître la vérité la plus fondamentale de l’État[3].
La raison principale de cette difficulté est que, précisément, l’un des principaux pouvoirs de l’État n’est autre que celui de « produire et d’imposer (notamment par l’école) les catégories de pensée que nous appliquons spontanément à toute chose du monde, et à l’État lui-même »[4] : en peu de mots, le danger, quand on pense l’État, c’est qu’on s’expose toujours à le penser avec une pensée d’État. Nous soutiendrons que la production de cette pensée d’État avec laquelle on est amené à penser l’État lui-même, si elle est bien entendu le fait des structures scolaires, est aussi intimement liée aux structures associatives. Et pour cause, car c’est au travers du travail des associations qu’un ensemble très significatif de problématiques d’État sont élaborées, posées, réfléchies, critiquées et agies par les citoyens. Ainsi, les associations sont, presque par excellence, des lieux de la construction de l’action de l’État et par conséquent de la possibilité de penser cette action. En ce sens, nous pouvons reformuler notre proposition initiale : il existe, au sein des associations, une certaine incapacité à penser l’État hors d’une pensée d’État, parce qu’elles constituent l’un des lieux où l’État lui-même se pense.
Pour préciser ce problème, il convient de prendre un exemple idoine, capable d’illustrer concrètement ce que signifie « penser avec une pensée d’État » dans le contexte des associations socio-culturelles. L’exemple le plus évident nous semble être celui des effets induits par les modes de financement des projets associatifs, et en particulier par les décrets de reconnaissance structurelle ou par les appels à projet qui constituent, actuellement, les modalités les plus importantes de la structuration de l’action associative. Outre les effets, que nous avons déjà analysés, de l’encadrement ambivalent que ce mode de financement induit sur les activités associatives[5], un aspect important de cette réalité permet d’identifier aisément combien il est complexe de penser la réalité même de cet État qui semble n’être qu’un nom recouvrant un ensemble institutionnel composite ; ensemble qui est précisément le lieu où quelque chose comme une pensée d’État prend corps. Toujours dans le vocabulaire de Bourdieu, notre exemple devrait donc permettre de montrer ce que signifie le geste de « penser un État qui se pense encore à travers ceux qui s’efforcent de le penser »[6] : autrement dit, de montrer que l’acte de penser l’État dans les institutions qui le composent revient à permettre à l’État de se penser lui-même à travers ce processus. Il nous semble que l’exemple de l’(auto)évaluation des projets associatifs ou, dans une autre formulation, du « contrôle interne » des associations expose cela de façon explicite.
Il est en effet systématiquement demandé aux associations qui perçoivent un soutien financier – structurel ou non – pour réaliser leurs activités de produire de façon régulière une évaluation de leur fonctionnement, de leurs différentes réalisations ainsi que de la façon dont leur travail a pu répondre, ou non, aux attentes et aux objectifs prioritaires des politiques publiques soutenant le décret ou l’appel à projets. Cette exigence est toujours à la fois quantitative et qualitative, et – outre quelques exceptions – les productions qui en résultent (les rapports d’activités) ont systématiquement pour destinataire les organes de l’État en charge du contrôle des institutions financées, soit la désignée « administration » publique. Le système de l’évaluation est composite et hétéroclite, mais il constitue l’une des modalités explicites de l’autoréflexivité de l’État : les associations, par le concours de leurs rapports d’évaluation, produisent le médium qui permet à l’État lui-même de réfléchir son action sociale et culturelle, à tout le moins celle qu’il a structurellement déléguée aux secteurs associatifs.
À titre d’exemple de cette réalité, le secteur de l’Éducation permanente belge voyait paraître en 2018 une nouvelle Circulaire ministérielle relative au décret du 17 juillet 2003 relatif au soutien de l’action associative dans le champ de l’éducation permanente[7]. Ce texte était, selon ses termes, pensé pour
proposer quelques repères autour des enjeux portés par l’article premier du décret du 17 juillet 2003, en vue de permettre aux associations reconnues d’évaluer périodiquement leur action.
Il précise en effet la façon dont l’évaluation de l’action associative en éducation permanente doit être réalisée, mais vise aussi
à faciliter une interprétation commune pour l’ensemble des acteurs : Gouvernement et Services du Gouvernement, associations et Conseil supérieur de l’Education permanente et, plus largement, dans le champ de l’Education permanente, dans le secteur non-marchand, voire l’opinion publique.
Cette énumération de « l’ensemble » des acteurs est assez intéressante dans notre perspective : elle indique de façon transparente que l’État est ici visé à titre principal comme étant le destinataire des interprétations, conséquentes de l’autoévaluation des associations, de ses propres prérogatives. En d’autres termes, on peut voir très explicitement que le contrôle interne des associations, s’il n’est pas exclusivement destiné à la produire, est l’un des importants moyens que déploie l’État aux fins de la connaissance qu’il peut avoir de lui-même. On peut en effet ici observer en acte comment l’État établit la forme et la méthode (ici, la circulaire elle-même) qui vont lui permettre, par le biais de l’obligation qu’ont les acteurs de s’y référer, d’obtenir un retour réflexif adapté sur sa propre action, c’est-à-dire de penser sa propre action et d’organiser la communication qu’il peut en faire vers la population (d’où la mention de l’opinion publique comme destinataire).
Cet exemple permet de mieux saisir l’ambivalence fondamentale qui frappe les acteurs associatifs quant à la possibilité de penser l’État : quoique juridiquement distincts de ce dernier, ils sont amenés par les conditions de leur encadrement financier et par les finalités qui leur sont assignées à être au centre de la dialectique de production de l’État par lui-même. Ce processus, relativement complexe du point de vue épistémologique, est cependant essentiel eu égard à notre hypothèse initiale, parce qu’il en déplace le centre de gravité.
La question n’est en effet plus tellement de savoir si l’associatif est dans l’incapacité de penser l’État mais bien dans mais bien dans l’identification du fait que la pensée qu’il est capable de produire est presque intrinsèquement vouée à naturaliser les catégories de la pensée de l’État, et par-là ses problématiques et ses perspectives. C’est ainsi que l’État peut se constituer, suivant le vocabulaire bourdieusien, comme le détenteur du monopole de l’usage légitime de la violence symbolique (en sus de son monopole de la violence physique). Pierre Bourdieu donne une formulation de cette idée particulièrement adaptée lorsqu’il écrit que
[s]i l’État est en mesure d’exercer une violence symbolique, c’est qu’il s’incarne à la fois dans l’objectivité sous forme de structures et de mécanismes spécifiques et aussi dans la « subjectivité » ou, si l’on veut, dans les cerveaux, sous forme de structures mentales, de catégories de perception et de pensée. En se réalisant dans des structures sociales et dans des structures mentales adaptées à ces structures, l’institution instituée [l’État, nda] fait oublier qu’elle est issue d’une longue série d’actes d’institution et se présente avec toutes les apparences du naturel [8].
Il est, dans l’expérience quotidienne du travail socio-culturel, particulièrement évident que, de façon volontaire ou non, l’on est très souvent amené à user, diffuser, voire à produire des catégories adéquates à l’encadrement idéologique tributaire des structures de l’État : qui n’y a jamais vécu ce sentiment de travailler avec des populations qui ne répondent pas exactement au profil qu’en donne le pouvoir public ? Qui, encore, ne s’y est jamais senti contraint d’orienter son action en fonction des prérogatives déterminées par l’État de manière à correspondre aux finalités financées et finançables par les subsides d’État ? Qui, enfin, n’a jamais éprouvé cette nécessité d’avoir à reformuler dans un vocabulaire arrangé le sens et l’intérêt de son intervention au sein de la population, de l’espace public et/ou politique ? Nous pourrions prolonger cette série d’interrogations pour chaque axe de travail des associations, qu’elles relèvent du droit privé ou du droit public n’y changeant finalement pas grand-chose. Et, constatant cette présence de l’État à l’intérieur de l’autonomie supposée de l’action associative, nous sommes amenés à accepter le constat suivant : étant l’un des moyens par lequel l’État se constitue lui-même comme État, les associations contribuent certes à transformer l’État ou à jouer un rôle dans son évolution, mais d’une manière qui contribue structurellement à étendre son emprise symbolique sur l’ensemble de la population qui est soumise à sa souveraineté. Et, de ce fait, l’action associative se voit circonscrite aux normes validées par les politiques qui déterminent l’action de l’État, de sorte que toutes les initiatives qui contreviendraient (sérieusement) à ces normes (en les contestant, en tentant de les abolir, etc.) s’en verraient automatiquement exclues.
De l’opposition à l’État à partir d’une pensée d’État
Notre premier développement nous permet donc d’avancer dans l’élucidation de notre problématique d’ensemble : si l’incapacité associative à penser l’État doit bien s’envisager comme son incapacité à penser l’État hors d’une pensée d’État, comment comprendre l’ambivalence des luttes associatives qui – précisément – visent à s’opposer à l’État et à ses formes contemporaines ? En effet, dans la mesure où le travail des associations socio-culturelles se fait lui-même le relais de la production et de la diffusion de l’emprise symbolique du pouvoir d’État, il devient particulièrement difficile de pouvoir penser les luttes qui dépendent de ce même travail comme véritablement distinctes, antagoniques ou oppositives par rapport aux politiques étatiques. À nouveau, cet état des choses s’expérimente de façon directe dans les relations diverses et variées que les associations entretiennent avec les pouvoirs publics. Nous évoquions dans l’introduction de notre étude le fait que l’État est souvent vécu par les associations comme étant, en même temps, un partenaire, un agent de contrôle et un ennemi. Cette situation est parfois thématisée comme telle, comme c’est le cas dans le secteur de l’éducation permanente belge où il n’est pas rare d’entendre dire que s’y incarne un forme particulière de modèle social où « l’État finance des associations pour qu’elles le critiquent », ou encore dans le secteur de la cohésion sociale, souvent pensée comme une démarche promue par les pouvoirs d’État pour corriger les inégalités qu’engendrent ses propres politiques.
Or, il est relativement admis que cette démarche de reconnaissance du travail des associations par l’État, à la fois législative et financière, a pour but ou pour effet de renverser le rapport d’opposition « associations contre État » au profit d’un rapport d’intégration par l’État des projets collectifs qu’incarnent les associations. Zalzett et Fihn le décrivent très bien au sein du contexte français et de sa loi de 1901 :
La loi de 1901, dite de « Waldeck-Rousseau », créant les associations avait entre autres objectifs de donner une forme aux diverses coopératives ouvrières, mutuelles, projets collectifs plus ou moins utopiques qui fleurissaient depuis quelques décennies. Il s’agit alors, pour l’État, de reconnaître ces formes en les intégrant plutôt que de lutter sans cesse contre elles […]. Les associations ainsi institutionnalisées sont une tentative, plutôt réussie, de la part de l’État de neutralisation des projets émancipateurs directement issus de la classe ouvrière. Les associations sont dès lors promises à un bel avenir[9].
Ce rapport d’intégration est aujourd’hui très souvent envisagé ou compris sur le mode d’un partenariat entre l’État et les associations ; partenariat pensé sur le mode d’une mise en concurrence par l’État des prétendants associatifs à la relation partenariale, c’est-à-dire au financement. Cette situation d’encastrement des associations dans les stratégies des politiques publiques, les constituant de fait comme le bras social d’un corps d’État traversé par les pôles idéologiques dominants de nos sociétés contemporaines (avant tout le néolibéralisme, la social-démocratie libérale et le fascisme sécuritaire), ne va pas manquer de mettre profondément en difficulté le sens et le vécu du travail qui y est produit.
Sur les deux années 2020-2021, trois ouvrages francophones[10] se sont penchés sur les milieux associatifs en s’intéressant aux formes, diverses et variées, de souffrances qui touchent les travailleurs et travailleuses enserrés dans ces rapports partenariaux, les trois livres ayant pour point commun de considérer le facteur de l’engagement idéologique ou la dimension vocationnelle du travail associatif comme étant le cœur de problématiques spécifiques à ces formes d’organisations de travail. Chaque ouvrage, de même, revient sur la problématique du lien entre ces professions arrimées à la lutte pour une cause et l’instrumentalisation de ce travail par les pourvoyeurs de fonds, c’est-à-dire majoritairement l’État. Le constat est donc synthétisable comme étant celui d’une double difficulté propre à l’associatif : d’une part, celle de la distance existant entre le désir d’un travail libéré des contraintes managériales classiques du secteur privé et la réalité d’un travail qui en est, en fait, parfaitement empreint ; d’autre part, celle d’une désillusion marquée quant à la non-réalisation des objectifs pourtant fortement revendiqués par les structures associatives elles-mêmes. Comme on peut lire chez Cottin-Marx, on y rencontre des travailleurs et des travailleuses frappés d’une « double désillusion : vis-à-vis des méthodes de gestion du travail, mais aussi de la non-réalisation du projet pourtant revendiqué haut et fort par ses dirigeants »[11]. Si la première de cette double désillusion est absolument fondamentale pour toute sociologie du fait associatif contemporain, il nous revient ici de tenter de théoriser les tenants et aboutissants de la seconde.
Pour le dire d’abord de façon lapidaire, il est assez évident que cette forme de désenchantement rencontrée par les travailleurs et travailleuses du secteur associatif subsidié doit être ressaisie comme un problème qui touche à la cohérence des prétentions idéologiques qui structurent les interventions politiques, sociales et culturelles des associations. Cela doit, à notre avis, d’abord être compris à la lumière du brouillage, dans l’associatif, des dichotomies qui pourtant structurent la position des associations aujourd’hui. Même si sa proposition porte sur la société française, Mathieu Hély rappelle utilement à ce propos que la question de la régulation de l’action associative (par l’État autant qu’au sein des organisations elles-mêmes) ne peut pas être pensée sans la resituer dans la dichotomie entre public et privé, dont découle une part très importante des représentations qui dominent notre compréhension du champ social. Nous reproduisons ici cet extrait qui, bien qu’assez long, restitue une proposition fondamentale pour comprendre la dynamique qui nous occupe :
la dichotomie public/privé ou redistribution/marché cristallise tout un système d’oppositions fonctionnelles, au cœur du processus de construction de l’État social, fondé à la fois sur le type de services délivrés (non marchand/marchand), sur la légitimité de ces services (intérêt général/intérêts particuliers) ainsi que sur les organisations (administrations/entreprises) et les acteurs chargés de les accomplir (fonctionnaires/salariés de droit privé). Ce mode de représentation s’est progressivement sédimenté dans des catégories cognitives, administratives et statistiques au fil d’une longue histoire de « monopolisation » des fonctions non marchandes par la puissance publique à la suite de la constitution des monopoles militaire et fiscal. Or, ces principes de division du monde social ont façonné artificiellement la réalité en faisant passer pour un ordre établi une fois pour toutes ce qui n’est en fait que le fruit d’une construction historique relativement récente. C’est ce bel ordonnancement qu’a remis en cause le développement du secteur associatif en brouillant cette dichotomie dans toutes ses dimensions[12].
La question de la place des associations dans le champ social est en effet très souvent floue, y compris pour celles et ceux qui y travaillent : font-elles partie du public ou du privé ? Et si elles sont bel et bien issues du secteur privé, ne travaillent-elles pas à la réalisation de missions d’intérêt public ? Ou, de façon plus indistincte encore, ne sont-elles pas l’incarnation de la défense de l’intérêt collectif, tantôt identifié comme étant le même que celui de l’État, tantôt comme celui de la société civile qui lui serait opposée ?
Ces dichotomies, représentations et catégories de pensée du social sont très déterminantes dès lors qu’elles constituent elles-mêmes le prisme au travers duquel les acteurs sociaux sont amenés à penser l’État et la nature de la relation qu’ils entretiennent avec sa réalité. Il n’est alors pas surprenant, compte tenu de ce que nous avons exposé précédemment, qu’à ce brouillage catégorial dans lequel se trouvent pris les individus qui travaillent dans le secteur associatif subsidié corresponde un paradoxe qui vient frapper la capacité même à donner sens et légitimité aux prétentions idéologiques du travail en question : d’initiative privée, les associations deviennent des opérateurs des politiques publiques ; d’antagonistes potentiels aux politiques d’État, elles sont conduites à en devenir les facilitatrices ; de révélatrices des dysfonctionnements sociaux, elles sont amenées à s’en constituer comme les évaluatrices ; soit, synthétiquement, d’autonomes et distinctes de l’État, elles sont factuellement constituées comme des appareils d’État. Ou, pour être plus précis grâce au vocabulaire de Louis Althusser, les associations sont factuellement constituées comme des appareils idéologiques d’État. C’est précisément en saisissant l’opposition entre privé et public comme une distinction interne à la pensée d’État qu’il sera possible de dissiper ces paradoxes apparents.
Les associations socio-culturelles appartiennent aux appareils idéologiques d’État
Dans son article tout à fait décisif de 1970, « Idéologie et appareils idéologiques d’État », Louis Althusser entendait revenir sur la théorie marxiste de l’État, alors synthétisée par le philosophe sous ces termes :
La tradition marxiste est formelle : l’État est conçu explicitement dès le Manifeste et le 18 Brumaire […] comme appareil répressif. L’État est une « machine » de répression, qui permet aux classes dominantes (au XIXème siècle, à la classe bourgeoise et à la « classe » des grands propriétaires terriens) d’assurer leur domination sur la classe ouvrière pour la soumettre au procès d’extorsion de la plus-value (c’est-à-dire à l’exploitation capitaliste).
L’État, c’est alors avant tout ce que les classiques du marxisme ont appelé l’appareil d’État. On comprend sous ce terme : non seulement l’appareil spécialisé (au sens étroit) dont nous avons reconnu l’existence et la nécessité à partir des exigences de la pratique juridique, à savoir la police, les tribunaux, les prisons ; mais aussi l’armée, qui (le prolétariat a payé de son sang cette expérience) intervient directement comme force répressive d’appoint en dernière instance quand la police, et ses corps auxiliaires spécialisés, sont « débordés par les événements » ; et au-dessus de cet ensemble le chef de l’Etat, le gouvernement et l’administration[13].
L’un des apports majeurs de la proposition d’Althusser dans cet article fut de proposer un prolongement à cette première théorie marxiste, considérée par ce dernier comme étant encore descriptive, et d’avancer la nécessité d’un concept complémentaire à celle-ci : celui d’appareil idéologique d’État. Ce dernier fut pensé pour compléter une thèse fondamentale de la pensée marxiste sur l’État, à savoir celle de la fondamentale distinction entre le pouvoir d’État d’une part, soit ce que vise la lutte de classes politique (la prise ou la conservation, par une certaine classe, du pouvoir d’État), et l’appareil d’État d’autre part, c’est-à-dire l’ensemble des institutions répressives au travers desquelles la classe détentrice du pouvoir d’État peut exercer la violence répressive pour imposer sa souveraineté. Cette distinction est notamment importante pour expliquer comment une révolution qui impacte la détention du pouvoir d’État (par exemple, si une révolution populaire parvenait à prendre le pouvoir d’État) se voit mise en échec par le fait que l’appareil d’État peut, quant à lui, demeurer en place malgré ladite révolution : en d’autres termes, que le lieu du pouvoir de l’État n’est pas situé ailleurs que dans ses divers appareils. La proposition d’Althusser est donc la suivante : en plus du précité appareil répressif de l’État (composé par le gouvernement, l’administration, l’armée, la police, les tribunaux, les prisons, etc.), il faut ajouter et considérer des institutions d’un autre type, qui contribuent tout autant à l’exercice du pouvoir de l’État, à savoir lesdits appareils idéologiques de l’État (AIE).
Althusser donne une liste préliminaire de ces AIE : institutions religieuses, scolaires, familiales, juridiques, politiques (comme les partis), syndicales, d’information (médias) et culturelles. Elles présentent deux différences fondamentales avec l’appareil répressif d’État. D’abord,
nous pouvons constater qu’alors que l’Appareil (répressif) d’État, unifié, appartient tout entier au domaine public, la plus grande partie des Appareils idéologiques d’État (dans leur apparente dispersion) relève au contraire du domaine privé. Privés sont les Églises, les Partis, les syndicats, les familles, quelques écoles, la plupart des journaux, des entreprises culturelles, etc.[14]
À ce propos, Althusser ne manque pas de relever une chose qui vient confirmer notre première proposition élaborée à partir de Bourdieu : le propre des AIE, par-delà le fait qu’ils appartiennent au domaine privé (comme l’est la majorité des associations socio-culturelles subsidiées), est de mettre en évidence que la distinction entre le public et le privé est une catégorie de la pensée d’État elle-même, et qu’elle ne peut donc être considérée comme pertinente pour penser les conditions d’opposition ou de distinction par rapport à l’État lui-même. Le point d’attention doit alors être, nous dit le texte althussérien, celui du fonctionnement des institutions : si, par exemple, une association est amenée à devoir fonctionner comme un appareil d’État, le fait qu’elle soit publique ou privée ne permet en rien de la distinguer de l’État lui-même.
La distinction du public et du privé est une distinction intérieure au droit bourgeois, et valable dans les domaines (subordonnés) où le droit bourgeois exerce ses « pouvoirs ». Le domaine de l’État lui échappe car il est « au-delà du Droit » : l’État, qui est l’État de la classe dominante, n’est ni public ni privé, il est au contraire la condition de toute distinction entre public et privé. Disons la même chose en partant cette fois de nos appareils idéologiques d’État. Peu importe si les institutions qui les réalisent sont « publiques » ou « privées ». Ce qui importe c’est leur fonctionnement. Des institutions privées peuvent parfaitement « fonctionner » comme des Appareils idéologiques d’État[15].
La première dimension importante de l’AIE eu égard à notre propos est donc la suivante : toute institution qui est amenée à (devoir) fonctionner comme un appareil d’État doit être considérée comme appartenant à l’État lui-même. Or, comme nous l’avons démontré précédemment, le système des relations partenariales avec l’État dans lequel sont amenées à travailler les associations socio-culturelles subsidiées les amène souvent à devoir fonctionner comme étant, à la lettre, l’un des bras exécutant des politiques publiques de l’État et ce même si, comme nous avons déjà tenté de le montrer, cela ne se fait pas sans ambiguïtés ni sans le maintien de marges de libertés importantes, elles-mêmes essentielles à la souplesse du système et de son fonctionnement.
Althusser ajoute ensuite la seconde distinction importante pour penser la spécificité des AIE :
Mais allons à l’essentiel. Ce qui distingue les AIE de l’Appareil (répressif) d’État, c’est la différence fondamentale suivante : l’Appareil répressif d’État « fonctionne à la violence », alors que les Appareils idéologiques d’État fonctionnent « à l’idéologie »[16].
Différentes précisions doivent être apportées pour bien saisir la portée d’une telle distinction. D’abord, le texte souligne que ces deux façons de fonctionner doivent être envisagées dans la complexité de leurs rapports réciproques : s’il est vrai que les institutions correspondant à l’appareil répressif d’État fonctionnent surtout par des méthodes répressives/violentes, elles sont aussi pleinement empreintes d’idéologie et ne peuvent manquer d’en être le relais, notamment par les valeurs qu’elles portent, défendent et représentent. Qu’il suffise d’évoquer l’institution policière pour évaluer combien, outre le recours à la violence répressive qui la définit, elle est aussi une institution qui contribue à la diffusion de l’idéologie dominante. Il en va de même pour les AIE qui sont essentiellement portés par l’exercice d’un pouvoir d’ordre idéologique « mais tout en fonctionnant secondairement à la répression, fût-elle à la limite, mais à la limite seulement, très atténuée, dissimulée, voire symbolique »[17].
Cette interpénétration des modes de fonctionnement des appareils d’État – répressif et idéologiques – indique combien le jeu de ces appareils se fonde sur des combinaisons réciproques qui, parce qu’elles contribuent à l’unification de l’État lui-même, ne manquent pas d’être expérimentées très quotidiennement par les sujets dudit pouvoir d’État. Ces expériences se font autant sentir dans les effets idéologiques de certaines interventions publiques semblant être d’ordre purement répressif, comme c’est le cas pour la police, que dans les effets répressifs qu’induisent nombre d’opérations portées par des AIE : par exemple, dans les pratiques de censure médiatique, dans les opérations de contrôle qu’endossent les syndicats, dans les formes de disciplinarisation scolaire, dans l’encadrement des colères sociales dont se chargent les associations socio-culturelles, dans les violences institutionnelles de certains dispositifs d’assistance, etc.
Si bien que nous pouvons faire un nouveau pas fondamental dans l’élucidation de notre cheminement critique : les associations ne peuvent pas thématiser l’État en dehors d’une pensée d’État parce que, par leur mode de fonctionnement propre, elles sont amenées à jouer le rôle d’Appareils Idéologiques d’État, c’est-à-dire à contribuer à l’exercice de l’hégémonie de l’idéologie de la classe qui détient le pouvoir d’État, donc de l’idéologie dominante. Or cette fonction qu’elles occupent dans le champ social est rarement ou difficilement identifiée comme telle, alors même qu’elle induit souvent des confusions importantes dans le rôle que les associations jouent au sein de la division du travail de l’État, notamment lorsqu’elles sont amenées, par ou à travers le caractère idéologique qui soutient leur intervention, à être répressives avec les bénéficiaires de leur action[18].
Maintenant que nous avons pu établir synthétiquement que les associations appartiennent à l’ensemble, pluriel, des institutions qui composent les AIE, nous pouvons déduire un certain nombre de propositions théoriques qui nous semblent déterminantes pour penser les relations entre les associations et l’État. Il faut d’abord établir en quoi consiste, spécifiquement, la fonction idéologique de ces AIE. En effet, l’attribution du statut d’AIE aux associations ne permet pas encore de rendre compte des antagonismes et des contradictions qui traversent pourtant le champ associatif dans ses rapports à l’État et aux politiques publiques. Les associations sont, de fait, des lieux où nombre de luttes citoyennes sont pensées comme fondamentalement opposées à l’idéologie dominante qui s’incarne ici dans des mesures liberticides, là dans des politiques publiques répressives ou discriminantes, ou encore dans des mesures sociales appauvrissantes et oppressives qui, chaque fois, trouvent dans les associations des pôles de résistance assez farouches. Comment penser, donc, cette contradiction apparente qui consiste à identifier les associations subsidiées comme étant des AIE, là même où elles s’affairent souvent à se constituer comme des pôles de résistance à l’État ?
Pour répondre à ce problème, le texte d’Althusser fournit une excellente première forme de réponse. Nous en reproduisons un extrait conséquent de manière à rendre disponible le cœur de l’argument :
Si les AIE « fonctionnent » de façon massivement prévalente à l’idéologie, ce qui unifie leur diversité, c’est ce fonctionnement même, dans la mesure où l’idéologie à laquelle ils fonctionnent est toujours en fait unifiée, malgré sa diversité et ses contradictions, sous l’idéologie dominante, qui est celle de « la classe dominante ». Si nous voulons bien considérer que dans le principe la « classe dominante » détient le pouvoir d’État (sous une forme franche, ou, le plus souvent, par le moyen d’alliances de classes ou de fractions de classes), et dispose donc de l’Appareil (répressif) d’État, nous pourrons admettre que la même classe dominante soit active dans les Appareils idéologiques d’État dans la mesure où c’est, en définitive, au travers de ses contradictions mêmes, l’idéologie dominante qui est réalisée dans les Appareils idéologiques d’État. Bien entendu c’est tout autre chose que d’agir par lois et décrets dans l’Appareil (répressif) d’État, et que « d’agir » par l’intermédiaire de l’idéologie dominante dans les Appareils idéologiques d’État[19].
Est ici fournie l’une des pistes de réflexions les plus importantes pour comprendre la dimension apparente de la contradiction que nous venons d’énoncer. Le nœud de résolution dialectique de la contradiction est effectivement énoncé lorsqu’on établit que c’est bien « au travers de ses contradictions mêmes » que l’idéologie dominante, c’est-à-dire l’idéologie de la classe qui détient le pouvoir d’Etat, est réalisée dans les AIE. Si nous avons jusqu’ici parlé de manière générale d’idéologie dominante, il importe de souligner que cette idéologie ne constitue pas un bloc homogène. Nous avons en effet indiqué en passant que l’idéologie dominante est plutôt une réalité se structurant selon différents pôles, dont les principaux sont aujourd’hui le néolibéralisme, la social-démocratie libérale et le fascisme sécuritaire. Ce qu’indique Althusser est que c’est précisément en raison de sa capacité à faire coexister ces pôles, c’est-à-dire « à travers ses contradictions mêmes », que l’idéologie dominante parvient à dominer, de manière à alimenter les alliances de classes qui permettent à la classe dominante de détenir le pouvoir d’Etat. Or, en raison de sa position spécifique – et apparemment contradictoire – l’associatif peut jouer un rôle clé dans ce processus de constitution de l’hégémonie de l’idéologie dominante.
Il y a en effet un enjeu tout à fait central dans le rôle socialement attribué à l’activité associative : celui de permettre aux contradictions qui animent le champ social et aux différentes formes de lutte des classes qui le traversent de trouver un lieu d’expression et des formes d’encadrement adéquates aux logiques qui organisent les démocraties (néo-)libérales et représentatives[20]. Il n’est certainement pas question, comme nous avons déjà pu le souligner ci-avant, d’assimiler purement et simplement le travail idéologique réalisé par les AIE associatifs à une pure et simple exécution des mesures gouvernementales. La façon dont les associations fonctionnent et agissent, souvent contre leur gré, comme des relais du pouvoir de soumettre la population à l’hégémonie idéologique des classes dominantes (soit celles qui sont détentrices du pouvoir d’État) ne doit donc pas être pensée comme une manière de « faire le boulot idéologique », qui consisterait par exemple à justifier tel ou tel mécanisme répressif. Au contraire, par la façon dont le champ des associations subsidiées est structuré et par les cadres qui lui donnent ses limitations (législations, financements, etc.), il est tout à fait évident que la liberté associative y soit pensée comme absolument nécessaire à la réalisation de sa fonction idéologique propre. En effet, la conservation par une classe sociale du pouvoir d’État et donc de sa capacité à faire perdurer une société dont le fonctionnement promeut ses intérêts ne peut pas se passer du concours des différents AIE dans leur spécificité.
Althusser fait à ce propos une remarque tout à fait décisive :
Cette dernière remarque nous met en mesure de comprendre que les Appareils idéologiques d’État puissent être non seulement l’enjeu, mais aussi le lieu de la lutte des classes, et souvent de formes acharnées de la lutte des classes. La classe (ou l’alliance de classes) au pouvoir ne fait pas aussi facilement la loi dans les AIE que dans l’appareil (répressif) d’Etat, non seulement parce que les anciennes classes dominantes peuvent y conserver longtemps de fortes positions, mais aussi parce que la résistance des classes exploitées peut trouver le moyen et l’occasion de s’y exprimer, soit en utilisant les contradictions qui y existent, soit en y conquérant par la lutte des positions de combat[21].
Cette description de l’ambivalence propre aux AIE nous semble tout à fait remarquable dès qu’on l’applique, ainsi que nous le proposons, aux associations socio-culturelles subsidiées : elle permet en effet de mettre en évidence quelle est la particularité des associations au sein des AIE eux-mêmes. Il nous apparaît en effet que, peut-être bien plus encore que pour les écoles, le champ médiatique ou peut-être même les syndicats, les associations sont (en Belgique du moins) le lieu où s’incarnent, se disputent, et s’élaborent, pour la société civile, un grand nombre d’antagonismes politiques induits par les contradictions idéologiques, sociales et politiques relatives au pouvoir d’État. Les associations alimentent en ce sens un « dynamisme démocratique » souvent vanté comme étant le ciment essentiel des sociétés libérales et qui – à ce titre précis – se voit très massivement soutenu par les pouvoirs publics eux-mêmes. En quelque sorte, les associations sont, pour une part importante de leur activité, financées par l’État pour accueillir le conflit politique intrinsèquement généré par les sociétés libérales. Cela est dit à chaque fois que la densité et l’étendue du « tissu associatif » sont désignées comme étant le signe de la grande « vitalité démocratique » d’un système politique où le conflit peut prendre place.
C’est ici qu’il faut alors mobiliser la proposition althussérienne pour faire émerger la cohérence de cette réalité d’apparence paradoxale : c’est bien en se nourrissant de ces contradictions que l’idéologie de la classe dominante se constitue, via les AIE, comme hégémonique. L’idée d’hégémonie doit ici être comprise dans une veine gramscienne, soit comme une forme d’exercice de la domination qui intègre des idées, des substrats culturels ou des capacités politiques spécifiques aux groupes dominés, en les rendant lisibles et en les recodant de manière à ce que ceux-ci s’alignent – y compris dans leurs formes de résistance – aux intérêts des classes dominantes. Le caractère malléable de l’idéologie dominante dont nous avons parlé plus haut, tantôt néolibérale, tantôt social-démocrate, tantôt fasciste, ou mieux les trois en même temps mais avec des accents différents selon les enjeux (les idéologèmes dominants varient selon que l’on parle de dette publique, de sécurité sociale, d’immigration, de relance économique, etc.) et les conjonctures (les idéologèmes dominants varient selon qu’on est frappés par une pandémie, par une crise économique, par des attaques terroristes, etc.), est précisément sans cesse alimenté par une telle recodification des résistances et des idées des groupes dominés[22]. Lorsque nous disons que l’idéologie de la classe dominante se fait hégémonique par l’intermédiaire des AIE et de leurs modes de fonctionnement propres, nous voulons donc désigner cette capacité de la classe possédant le pouvoir d’État (soit la classe dominante) à universaliser ses propres revendications en influant sur la direction idéologique des luttes sociales. Autrement dit, en analysant l’inscription des associations socio-culturelles subsidiées dans le champ des AIE, il est possible de comprendre comment c’est précisément le fait qu’elles soient le lieu d’accueil des contradictions générées par la lutte des classes dont l’État est lui-même la fonction qui permet à l’idéologie des classes dominantes de se faire dominante à travers elles.
Nous pouvons alors reprendre la perspective élaborée par Bourdieu pour requalifier l’État comme un « corps fictif » concentrant un ensemble de capitaux qui lui assurent l’exercice du pouvoir sur un territoire déterminé et sur l’ensemble de la population correspondante, notamment en mettant en évidence que les associations y jouent le rôle d’appareils idéologiques d’appropriation, de concentration et de capture du capital de résistance des populations à leur domination. En étant constituées par l’État comme le lieu et l’enjeu de la lutte des classes, les associations se voient amenées à naturaliser la domination idéologique de l’État, c’est-à-dire à rendre hégémonique l’idéologie des détenteurs du pouvoir d’État. L’apport spécifique de notre réflexion aura alors été de montrer que c’est à ce titre même que toute possibilité d’une pensée de l’État qui ne soit pas une pensée d’État y est rendue presque impossible, ce qui ne manque pas de rendre inefficientes voire systématiquement décevantes les luttes qui y ont l’État comme ennemi, comme le suggéraient les différents ouvrages susmentionnés sur la souffrances des travailleurs et travailleuses de l’associatif.
Par-delà l’autonomie associative, l’autonomie idéologique des associations
À ce stade de notre réflexion, nous pouvons désormais avancer notre thèse essentielle : ce que vient empêcher l’encastrement étatique de l’action associative est l’autonomie idéologique des collectivités associatives et de leurs membres. Dans le secteur de l’éducation permanente comme dans d’autres, la désillusion associative à laquelle nous sommes tous les jours confrontés et que nous pensons partout palpable, faite de sentiments de complaisance malsaine et de vécus d’impuissance, nous semble très profondément marquée par cette impossibilité d’y déployer une autonomie idéologique réelle par rapport à l’État et aux forces qui le dominent et l’organisent. La possibilité d’élaborer des stratégies de lutte qui pourraient véritablement transformer, par les mouvements sociaux, les appareils d’État est intégralement tributaire de la capacité des acteurs de ces mouvements à pouvoir s’opposer idéologiquement aux structures actuelles de l’État, à ses valeurs, à ses clés de division sociale, etc. Or, nous avons vu que cette possibilité est, dans les associations subsidiées, annulée par l’encadrement législatif et financier que leur impose leur reconnaissance par l’État, les amenant – par le biais des dispositifs d’(auto)évaluation – à permettre à l’État de se connaître lui-même dans ses contradictions et d’assurer par là son hégémonie idéologique sur le corps social.
Il nous semble qu’il serait vain de revendiquer une nouvelle organisation de l’encadrement étatique qui permettrait, on ne sait pas trop comment, aux associations de faire valoir et reconnaître par l’État des actions et des positions dont le but serait – explicitement – de le renverser. Cette option serait immédiatement diluée dans le même processus dialectique rendant paradoxales les tentatives de contre-hégémonie qui s’élaborent dans le champ associatif de nos démocraties libérales. En revanche, il nous semble que peut s’envisager quelque chose de plus souterrain, qui tiendrait compte de l’exigence d’une autonomie idéologique des associations tout en prenant en compte la lisibilité des conflits sociaux que les dispositifs associatifs rendent possibles. L’une des notes du texte d’Althusser, en précisant certains principes énoncés par Marx quant à la question du rôle de l’idéologie dans la lutte des classes, nous fournit une excellente occasion de préciser notre idée :
La lutte des classes s’exprime et s’exerce donc dans les formes idéologiques, donc aussi dans les formes idéologiques des AIE. Mais la lutte des classes déborde largement ces formes, et c’est parce qu’elle les déborde que la lutte des classes exploitées peut aussi s’exercer dans les formes des AIE, donc retourner contre les classes au pouvoir l’arme de l’idéologie[23].
Cette possibilité, évoquée par Althusser, d’un retournement par les classes exploitées de l’arme de l’idéologie contre les classes au pouvoir nous semble très importante pour tenter de formuler un usage des associations qui puisse servir des luttes capables de s’opposer à l’ordre dominant des sociétés néolibérales. Du moins, il nous semble que c’est là que doit se poser la question de la possibilité de redéployer une autonomie idéologique des associations.
En effet, nous avons vu que c’est notamment au travers ou au niveau du contrôle interne des associations que s’opère la réinscription systématique de l’action associative comme fonction constitutive de l’hégémonie idéologique de l’État. C’est en effet là que se joue ce transcodage symbolique des luttes et des colères populaires qui se déploient dans les associations en motifs de renforcement de l’idéologie dominante de l’État. Mais il est évident pour tous ceux et celles qui fréquentent les associations ou qui y travaillent qu’un écart très significatif existe entre la version officielle des compte-rendus à l’administration de ce qui se fait au quotidien dans les asbl et les dynamiques qui s’y élaborent réellement. Un écart similaire existe bien entendu entre l’idéologie ou les valeurs revendiquées officiellement par les associations et celles qui déterminent réellement les rapports sociaux qui s’y développent. Autrement dit, ce n’est pas parce que la lutte des classes est, dans les AIE, structurellement orientée par et vers l’État qu’une lutte plus souterraine – faite de micro-stratégies de résistance, de contournement, de feinte, etc. – n’y fait pas également son nid : ces formes de lutte, si elles ne suffisent pas à enrayer totalement les processus d’appropriation idéologique dont nous avons ici fait l’analyse, sont cependant absolument essentielles pour brouiller la lisibilité et le transcodage des conflits sociaux que rendent possibles les associations elles-mêmes. C’est à leur occasion que quelque chose comme une opposition à la fonction que l’État assigne aux associations se fait le plus sentir.
Nous sommes à ce titre convaincu que la sous-thématisation du concept d’État que nous avons relevée au début de cette étude et ses conséquences contribuent largement à parasiter ces ébauches sous-jacentes de construction d’une autonomie idéologique émancipée de la domination idéologique qu’exerce l’État. Il nous semble, de même, important d’assumer que la mise en évidence des ambivalences qui structurent l’intrication de l’État et des associations subsidiées ne permet pas de nourrir des espoirs sur la possibilité d’une reconfiguration révolutionnaire de l’activité associative. Au contraire, cela doit nous convaincre que l’associatif subsidié n’est pas une affaire de révolution, mais doit être pensé comme intrinsèquement tributaire des logiques que nous avons désignées, avec Althusser, comme étant celles d’AIE de la société capitaliste. Nous pensons justement que c’est au prix du maintien de l’ambivalence fondamentale des relations qu’entretiennent les associations avec l’État que quelque chose de potentiellement antagonique avec ce dernier peut se déployer.
Conclusion
Le point de départ de notre réflexion était le suivant : dès lors qu’on constate certaines ambiguïtés dans les divers rapports existant entre les associations socio-culturelles (subsidiées) et ce qu’on nomme l’État, n’est-il pas utile de s’interroger sur la pensée de l’État que produisent ces mêmes associations ? Partant, une certaine indétermination du concept d’État nous a semblé de fait dominer la pensée associative sur l’État : fallait-il n’y voir qu’une pure coïncidence, ou bien partir de cette réalité pour tenter d’éprouver une hypothèse explicative plus globale sur ces relations ambiguës, à savoir celle d’une possible incapacité associative à penser l’État qui soit la conséquence structurelle de la façon dont ce dernier intègre le fait associatif ? Nous avons tenté de procéder sur cette base à une déconstruction épistémologique et politique de la pensée de l’État existant dans les associations, ce qui nous a mené à considérer deux choses essentielles. Premièrement, que les associations, plus que de pouvoir penser l’État de façon extérieure, sont structurellement conduites à produire (et reproduire) la pensée d’État elle-même. Deuxièmement, que cela les amène à fonctionner comme des appareils idéologiques de l’État qui, parce qu’y est rendue possible la mise en travail dialectique des contradictions générées par les politiques d’État (elles-mêmes traversées par la lutte des classes), contribuent à rendre hégémonique l’idéologie dominante. Nous avons, enfin, voulu indiquer que l’effet le plus immédiat de cette réalité par rapport aux luttes associatives qui s’opposent à l’État et à ses orientations était de parasiter l’autonomie idéologique des associations et, par voie de conséquence, leur capacité à élaborer des stratégies qui soient efficientes en vue de cet objectif oppositionnel.
Ces quelques étapes de notre raisonnement, ici très brièvement restituées, nous amènent à conclure sur une double proposition prospective. Comme nous l’avons dit ci-avant, nous pensons que ce travail de déconstruction ne doit pas servir à nourrir de faux espoirs qui poursuivraient en fait la logique dialectique que nous avons pu mettre en évidence : la façon dont l’idéologie de l’État capitaliste se constitue comme dominante, notamment au travers des associations, se nourrit de cet espoir sans cesse alimenté en leur sein de pouvoir un jour devenir vraiment révolutionnaires. En d’autres termes, toute la puissance de l’État passe aussi, pensons-nous, par ces processus qui contribuent à maintenir le travail des contradictions sociales et politiques au sein des cadres et des normes propres aux AIE, dont les associations font pleinement partie : on doit accepter l’efficience de l’hégémonie idéologique de l’État quand on constate que nous sommes encore nombreux à croire que les associations pourraient servir la révolution. Cette idée est, sous une forme un peu différente, exprimée par Althusser lui-même :
les appareils idéologiques d’État sont nécessairement le siège et l’enjeu d’une lutte de classe, qui prolonge, dans les appareils de l’idéologie dominante, la lutte de classe générale qui domine la formation sociale. Si les AIE ont pour fonction d’inculquer l’idéologie dominante, c’est qu’il y a résistance, s’il y a résistance, c’est qu’il y a lutte, et cette lutte est en définitive l’écho direct ou indirect, parfois proche ou le plus souvent lointain de la lutte des classes[24].
En ce sens, c’est bien parce que la résistance à l’idéologie dominante continue de passer par des organisations qui sont structurellement amenées à contribuer à son imposition et sa reproduction que ces dernières lui permettent de perdurer sous sa forme actuelle. Cette réalité est problématique et, nous l’avons vu, ne manque pas d’impacter très sérieusement les idéaux politiques de ceux qui sont amenés à travailler dans le secteur associatif. Mais il nous semble que, face à ce genre de problème, la première étape nécessaire est d’accepter l’état de chose : les associations subsidiées ne peuvent pas, en l’état, être révolutionnaires et ne doivent pas chercher à l’être. Notre première conclusion prendrait alors la forme d’un réquisit éthico-politique aux associations, synthétisable sous la boutade suivante : « connais-toi toi-même comme non-révolutionnaire ».
Mais il ne s’agit pas de s’en tenir là. Nous avons insisté sur l’importance d’identifier les « moments » où s’opère le transcodage de la résistance captée par les associations. Parmi ces moments, il y a celui de la production de l’évaluation des activités, des résultats et des impacts quantitatifs et qualitatifs de l’action associative. Bien plus que dans la réalisation quotidienne et effective des activités portées par les associations, c’est au travers des rapports d’activités et d’évaluation que la liaison – épistémique et politique – entre les organisations associatives et l’État s’actualise. C’est à leur occasion qu’une certaine transformation des référentiels s’opère, que le vocabulaire change, que les perspectives sont corrigées : à la lettre, que l’autonomie idéologique est parasitée. Comme nous l’avons également souligné, tout le monde sait qu’un écart (très) important existe entre ce moment, avec ses implications particulières, et tout ce qui lui échappe, se fait hors de ses logiques, pendant le travail réel et à l’occasion des vraies rencontres que ces secteurs génèrent. Or, il nous semble que c’est justement parce qu’il se fait au sein d’AIE, au sens que nous avons ici exposé, que tout ce travail peut conserver une valeur réelle dans les stratégies d’opposition à la forme actuelle du pouvoir d’État. Si le changement de régime politique et social ne viendra sans doute pas des luttes associatives par elles-mêmes, elles auront par contre un grand rôle à jouer pour accompagner, solidifier, rendre possible le déploiement d’une autre hégémonie idéologique, qui se cristallisera dans un État dont la rationalité ne sera plus néolibérale, ou capitaliste, ou même dans une forme d’organisation sociale qui ne relèvera plus de la forme-État. Mais ceci pourvu qu’elles parviennent pour ainsi dire à protéger, à maintenir dans son autonomie l’idéologie qui émerge de leurs pratiques et rencontres, et qu’on pourrait qualifier d’« infra-idéologie » pour la distinguer des formes idéologiques qui sont rendues lisibles et transcodées pour qu’elles s’agencent dans l’idéologie dominante. Si bien qu’au fond, ces luttes associatives nous semblent devoir renoncer à concevoir l’État comme un quelque chose dont il faut obtenir la reconnaissance, ou comme un adjuvant capable de sanctionner positivement ou non les objectifs visés. Il est au contraire essentiel de montrer que le travail associatif peut préparer – certes, de façon indirecte, souterraine voire cachée – la possibilité d’un autre État, d’une autre idéologie dominante construite sur base de ces éléments infra-idéologiques engendrés par les travailleurs et travailleuses avec leur public bénéficiaire. Cela nous semble correspondre à ce que suggère l’incise althussérienne sur le retournement des armes de l’idéologie que sont les AIE contre l’idéologie dominante. Si la pensée d’État trouve à se reproduire au travers du travail de ses contradictions par les associations, il nous semble que demeure possible et essentiel de parasiter ce procès en redéployant une infra-autonomie idéologique en leur sein, basée sur d’autres moyens que ceux officiellement exigés et évalués dans les cadres des relations établies entre l’État et elles. En d’autres termes, notre deuxième conclusion prospective serait : « travaille dans ton association de telle manière que l’État ne soit pas en mesure de savoir comment tu travailles à le renverser ni quels conflits tu œuvres à approfondir ».
- [1] Si nous parlons ici d’indétermination du concept d’État, il va de soi que le rapport spontané des associations et de leurs membres à l’État est exposé à la même forme d’inconsistance, et que ces deux aspects – théoriques et pratiques – se soutiennent mutuellement.
- [2] Cottin-Marx Simon, et al. « La recomposition des relations entre l’État et les associations : désengagements et réengagements », Revue française d’administration publique, vol. 163, no. 3, 2017, p.463.
- [3] Bourdieu Pierre, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 96-97, mars 1993, p. 49.
- [4] Ibid.
- [5] Voir, à ce propos, notre analyse publiée en 2017 : Marion Nicolas, « La chalandisation du non-marchand : une convergence des luttes entre les associations et leurs publics ? », Publication ARC, 2017 [En ligne]. URL : https://www.arc-culture.be/publications/la-chalandisation-du-non-marchand-une-convergence-des-luttes-entre-les-associations-et-leurs-publics/
- [6] Bourdieu Pierre, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Art. Cit., p. 49.
- [7] Cette circulaire est consultable en ligne en suivant l’URL : http://www.educationpermanente.cfwb.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=07fea3fb4f2bf276d7ef35f36b0e4f6d344875c7&file=fileadmin/sites/edup/upload/edup_super_editor/edup_editor/documents/Judith/Circulaire_ministerielle_relative_au_decret_du_17_juillet_2003_relatif_au_soutien_de_l_action_associative_dans_le_champ_de_l_education_permanente.pdf
- [8] Bourdieu Pierre, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique », Art. Cit., p. 51.
- [9] Fihn Stella, Zalzett Lily, Te plains pas, c’est pas l’usine. L’exploitation en milieu associatif, Le Mas d’Azil, Niet!éditions, 2020, p.23.
- [10] Outre l’ouvrage de Fihn et Zalzett précité, nous renvoyons ici à Cottin-Marx Simon, C’est pour la bonne cause ! Les désillusions du travail associatif, Ivry-sur-Seine, Les éditions de l’Atelier, 2021 et Russo Pascale-Dominique, Souffrance en milieu engagé, Paris, Éditions du Faubourg, 2020.
- [11] Cottin-Marx Simon, C’est pour la bonne cause ! Les désillusions du travail associatif, Op. Cit., p.22.
- [12] Hély Mathieu, Les métamorphoses du secteur associatif, Paris, PUF, 2009, p.25.
- [13] Althusser Louis, “Idéologies et appareils idéologiques d’État”, dans Positions (1964-1975), Paris, Éditions sociales, 1976, p.77.
- [14] Ibid., pp.83-84.
- [15] Ibid., p.84.
- [16] Ibid., p.84.
- [17] Ibid., p.85.
- [18] Nous pouvons, par exemple, illustrer cela par l’énumération de tous les effets répressifs des dispositifs associatifs soutenant l’organisation et l’action de l’État Social Actif. Nous renvoyons, pour une analyse détaillée de cela, à Tverdota Gabor, « L’État social actif et ses pauvres. Réflexions sur la dimension culturelle des politiques d’activation », Publication ARC, 2017 [En ligne]. URL : https://www.arc-culture.be/publications/letat-social-actif-et-ses-pauvres-reflexions-sur-la-dimension-culturelle-des-politiques-dactivation/
- [19] Althusser Louis, “Idéologies et appareils idéologiques d’État”, Art. Cit., pp.85-86.
- [20] Nous renvoyons ici, pour une approche détaillée et critique de cette question, à l’un de nos précédents travaux : Marion Nicolas, « Pour une politique de l’expression », Publication ARC, 2019, [En ligne]. URL : https://www.arc-culture.be/publications/pour-une-politique-de-lexpression/
- [21] Althusser Louis, “Idéologies et appareils idéologiques d’État”, Art. Cit., pp.86-87.
- [22] Cette idée rejoint le commentaire formulé par Etienne Balibar sur le concept d’« appareil » chez Althusser : « Mais en même temps, tout en maintenant que seule l’idéologie de la classe dominante peut être organisée en un système complet – ce qui rend difficile de parler d’une « idéologie dominée » isolable comme telle -, il tend à poser que, dans la « lutte de classes idéologique » permanente, l’élément déterminant en dernière instance est paradoxalement la position occupée dans l’idéologique par les classes dominées et exploitées. Ce qui veut dire qu’aucune idéologie d’État ne peut exister sans une « base populaire » enracinée dans les conditions de travail et d’existence, et donc sans « exploiter » à sa façon l’élément progressiste et matérialiste que comporte l’idéologie des classes dominées. » (Balibar Étienne, « Appareil », dans Bensussan Gérard, Labica Georges (dir.), Dictionnaire critique du marxisme, Paris, PUF, 1982, p.54).
- [23] Ibid., p. 87 (note 11).
- [24] Althusser Louis, Sur la reproduction, Paris, PUF, 2011, p.251.