Violences conjugales : quelle(s) justice(s) ?

Cette étude a pour but d’analyser le rapport qu’entretient la justice pénale avec les violences conjugales et de questionner le réflexe punitif qui préconise un durcissement des peines comme réponse privilégiée auxdites violences. Il s’agira de montrer qu’il existe d’autres manières, parfois plus efficaces, de rendre justice et qui ne participent pas, ou en tout cas moins, à l’institution pénale : les justices transformatrice et restauratrice. Le rôle du milieu associatif dans la gestion des conséquences des violences sexistes et sexuelles est également analysé, notamment à travers l’exposé du travail réalisé par l’asbl Praxis qui propose des formations de responsabilisation d’auteurs de violences conjugales et intrafamiliales.

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Depuis #MeToo, il devient difficile de ne pas reconnaitre le caractère systémique des violences sexistes, obligeant à réfléchir à une réponse – ou riposte – systémique elle aussi. Ce « mouvement » est hétérogène et n’a pas toujours ciblé les mêmes catégories de personnes, mais il a touché un grand nombre de milieux : le cinéma, la politique et même les milieux militants. Certaines prises de parole ont été anonymes ou ne mentionnaient pas nommément les personnes dénoncées, là où d’autres dénonçaient des figures publiques jusque-là intouchables dans leur domaine, comme l’illustre le cas Harvey Weinstein. Ce dernier a finalement été condamné à 23 ans de prison pour agressions sexuelles et viols[1].

Célébrer la fin de cette impunité et se réjouir de voir quelqu’un enfin subir les conséquences de ses actes est compréhensible. Voir que les mieux lotis – de par leur capital économique, culturel et symbolique – sont sujets à la même justice que tous les autres peut être vécu comme une victoire féministe. Mais l’est-elle réellement ? Au-delà des ressentis autour du dénouement de cette affaire, mais aussi de tant d’autres, et comprenant le sentiment de victoire, nous proposons de sortir des cas ultra médiatisés pour se concentrer sur la majorité des autres cas de violences sexistes : ceux qui passent inaperçus et qui ne seront jamais jugés, ceux dont les auteurs laisseront derrière eux des victimes qui n’obtiendront ni reconnaissance, ni réparation. Nous souhaitons aborder ici certaines difficultés à traiter les questions de justice en matière de violences sexistes et sexuelles qui croisent plusieurs problématiques. Il n’est jamais facile de naviguer dans les complexités amenées par ces sujets et nous espérons le faire avec le plus de nuances possible.

Outre #MeToo, les divers hashtags et blogs de dénonciation (#BalanceTonPorc, #BalanceTonBar, Paye Ta Shnek[2], etc.) ont permis de montrer de manière assez efficace l’étendue du problème et ont mis un zoom médiatique sur des questions habituellement qualifiées de faits divers. Ce sont des avancées, selon nous, positives. Ce que nous questionnerons concerne le fait ambivalent de percevoir l’inscription de certaines violences dans le code pénal et le durcissement des peines comme étant des victoires. Nous entrevoyons déjà que la criminalisation des actes de violence peut poser question dans une société déjà violente, qui produit et perpétue ces mêmes violences. La réponse à cette violence n’est jamais simple et oblige à prendre du recul. Dans cette étude, nous parlerons principalement de violences conjugales et intrafamiliales. Ces dernières comportent, mais ne se limitent pas, à des violences sexistes et sexuelles, des violences physiques, économiques, verbales, etc. Ces violences sont majoritairement commises par des hommes à l’encontre de femmes. On peut parler de violences sexistes systémiques : il s’agit plus souvent de la règle et non de l’exception. Ces violences peuvent mener, dans les cas les plus extrêmes, au féminicide.

Il s’agira ici d’interroger l’efficacité du système pénal[3] dans sa capacité à réagir aux violences sexistes et sexuelles et à répondre aux besoins des victimes, de montrer l’intérêt d’intégrer des formes de justice telles que la justice restauratrice et la justice transformatrice dans la réflexion et, enfin, de montrer un exemple concret de responsabilisation des auteurs. Le but de l’étude sera alors de mettre en avant les tensions qui existent au sein de ces débats, de tenter de les dépasser, et de dessiner des voies d’appréhension concrètes et possibles qui nécessitent d’être davantage développées et financées.

Pour ce faire, nous commencerons par présenter la réponse majoritaire aux questions de violence, une réponse punitive qui pose problème à divers niveaux. Nous montrerons ensuite l’intérêt et les limites de deux formes de justice alternative qui peuvent compléter ou remplacer le système de justice pénal dans le cadre des violences sexistes et sexuelles, à savoir la justice restauratrice et la justice transformatrice. Enfin, nous nous pencherons sur le cas concret d’une asbl de responsabilisation des auteurs de violences conjugales et intrafamiliales, Praxis, afin de démontrer qu’il est tout à fait possible, voire préférable si l’on s’en tient aux chiffres, de ne pas passer par le système carcéral pour gérer les questions de violences de genre.

Sortir de l’automatisme punitif

Le féminisme carcéral prétend que l’on doit répondre aux violences faites aux femmes en multipliant les moyens de répression, lesquels rendraient – entre autres choses – les espaces publics et intimes plus « safe » pour nous. Bien sûr, ce féminisme puise dans le réel : les agressions sont une réalité et bien des villes semblent avant tout adaptées à des hommes blancs de quarante ans en pleine possession de leurs moyens. Oui, les villes ne sont pas des espaces de sécurité pour les femmes.

Mais développer dans des villes inhospitalières encore plus d’inhospitalité, et ce à travers le sécuritaire, c’est-à-dire un déploiement des caméras de surveillance, de bracelets de contrôle, d’outils de reconnaissance faciale, ne fera que renforcer la violence en en multipliant les formes. Ces moyens de contrôle ne peuvent l’arrêter. Et les prisons non plus.

Je ne crois pas au punitif au sens général. De plus, on devine très bien quels sont les premiers des hommes à être envoyés en prison : pas les cadres supérieurs ou les hauts fonctionnaires. Le punitif, c’est répondre à la violence par plus de violence – symbolique et réelle – sans penser au-delà[4].

Françoise Vergès, dans cette citation, explique les risques de répondre à la violence par plus de répression. En effet, aujourd’hui, la réponse féministe dominante face aux violences sexistes et sexuelles est de revendiquer un renforcement du système pénal à travers un durcissement ou une application effective des peines. Nous pouvons comprendre ces réactions comme une réponse au fait que les affaires de violences sexistes et sexuelles n’arrivent presque jamais au tribunal et les auteurs ne finissent que très rarement en prison. Nous constatons bien une non-prise en charge de la part de la justice. En outre, entre les chiffres officiels et les chiffres réels, il y a un écart appelé le chiffre noir[5] : on sous-estime les chiffres sur les violences en partie parce que, pour pouvoir être comptabilisées, il faut qu’elles fassent l’objet d’une plainte, d’une façon ou d’une autre[6]. Or, c’est rarement le cas car les victimes sont souvent découragées par une justice qui peut sembler intimidante, inefficace ou parfois contre-productive[7]. Quand le contact est pris avec la justice, la réponse apportée est souvent de faible ampleur, voire inexistante quand il s’agit d’un classement sans suite, créant un sentiment d’impunité. Malgré ces constats, il est important de questionner la volonté d’incarcération et se demander s’il faut en priorité se battre pour augmenter l’incarcération des agresseurs. Selon Emeline Fourment[8], docteure en science politique à l’université de Rouen, les violences sexuelles devraient presque être considérées comme un crime de masse, vu l’échelle à laquelle elles sont répandues. La justice n’a pas les moyens de répondre à tous les cas de violence, et si elle était efficace, il y aurait un très grand nombre d’hommes en prison. La réponse pénale serait forcément inadaptée à ce phénomène de masse, et accentuerait la sélectivité pénale qui fait que ce sont seulement certains types d’agresseurs qui se retrouvent en prison (les personnes pauvres, racisées, exclues, etc.) Nous y reviendrons.

Les féministes anticarcérales ou abolitionnistes défendent, de la même manière, que le fait d’avoir une réponse plus ferme et d’acter que ces violences sont inacceptables ne doit pas nécessairement passer par un durcissement des peines. Voir un auteur derrière les barreaux n’est par ailleurs pas le souhait de toutes les victimes[9], leurs besoins se situant souvent ailleurs – dans la reconnaissance et la réparation par exemple[10]. Mais la justice pénale n’a pas, dans son essence même, été conçue pour y répondre :

La justice n’en fera jamais assez pour les victimes. Elle leur paraît souvent soit trop bureaucratique soit inconsistante. La souffrance directe ou indirecte que produit la victimation est, dans une mesure indéfinissable, non réparable. Plus précisément, les attentes de réparation sont souvent mal adressées. La justice pénale ne peut donner que ce qu’elle a, alors qu’elle semble attirer les attentes les plus diverses (…). Elle ne peut produire à elle seule le soulagement de la souffrance des victimes, même si certains aspects de son action peuvent parfois y contribuer. (…) La victime n’est donc pas oubliée par la justice pénale : elle en est nécessairement exclue, au nom du souci bien légitime de mise à distance de toute vengeance et au nom du souci moins légitime d’exproprier dès lors les protagonistes d’un conflit ou d’une situation problématique des voies de règlement de ce conflit ou de cette situation[11].

On retrouve cette idée d’expropriation du conflit par des professionnels de la résolution des conflits dans les écrits de Nils Christie, sociologue et criminologue. En effet, la justice pénale dépossède, selon lui, la victime et l’auteur de leur conflit en le transformant en une affaire publique, qui les dépasse, et qui est médiée par les juges et les avocats. Les parties n’ont presque plus rien à dire et la résolution du conflit est laissée aux professionnels. Christie préconise de centrer la victime dans le processus juridique à travers le recours à des tribunaux de proximité et par la déprofessionnalisation de la résolution des conflits[12], afin que ceux-ci puissent être réappropriés par toutes et tous, et en premier lieu par les victimes. Concrètement, cela signifie que ces dernières prennent part au processus de résolution, quelle que soit la forme que celui-ci prend.

Cette perspective et celle de deux autres auteur·e·s, Louk Hulsman et Ruth Morris, sont regroupées et discutées dans l’ouvrage de Gwenola Ricordeau « Crime & Peines. Penser l’abolitionnisme pénal » qui propose, en mobilisant la pensée de ces trois auteur·e·s, une critique du système pénal et qui plaide pour son abolition. Ricordeau invite à considérer d’autres recours et d’autres moyens que le système pénal pour parvenir à régler les conflits, les « situations-problème[13] » et les torts sexuels[14]. La justice pénale n’est donc pas, selon ces auteur·e·s, la voie à privilégier, d’autant plus que cette voie, lorsqu’elle rencontre son objectif final, mène à la prison. Nous n’épiloguerons pas sur les raisons d’être de la prison, ce n’est pas l’objet de la présente étude, mais dans le cas analysé ici, à savoir les violences faites aux femmes, la prison servirait à protéger les victimes (et la société) en punissant et en écartant temporairement des personnes jugées dangereuses. Notons que cette protection semble illusoire lorsque nous constatons que les victimes de féminicides avaient souvent porté plainte plusieurs fois, sans succès, avant d’être tuées par leurs (ex-)conjoints. De plus, l’incarcération n’est pas un gage de sécurité ou de protection, vu que, la plupart du temps, cette incarcération est limitée dans le temps. Et s’il n’y a eu aucun travail entre le moment de l’écartement et le moment de la libération, nous ne faisons tout simplement que retarder le problème[15]. Dans ce modèle purement rétributif, le besoin de sécurité des victimes n’est donc pas suffisamment pris en compte, et la responsabilisation et la remise en question des auteurs sont totalement absentes. La remise en question est d’ailleurs antagoniste avec les principes de la justice pénale : la défense étant souvent basée sur le déni, il ne faut surtout pas reconnaître le tort commis, au risque de recevoir une peine plus lourde.

Le fait de demander un durcissement des peines et de vouloir à tout prix l’incarcération pourrait même empêcher d’explorer des pistes plus pertinentes :

Rien n’est plus facile et apparemment peu coûteux que de prétendre protéger les uns en punissant plus fort les autres (Lemonne et al., 2010). (…) Ce double mouvement du droit pénal présente un caractère à la fois progressiste et régressif : il laisse entendre que celui qui souffre du crime doit faire l’objet de sollicitude et de protection (facteur de progrès de la justice pénale), mais suggère aussi qu’il faudrait en passer, à cette fin, par l’accroissement de la douleur infligée à l’auteur du crime. (…) Ce double mouvement a été finement observé par Colette Parent (1998, 2002) en ce qui concerne les revendications féministes et leurs effets sur la criminalisation croissante et renforcée des hommes auteurs des violences faites aux femmes : le recours au pénal s’impose comme seule solution, sans égard pour les personnes impliquées, dépouillant les femmes de leur autorité légitime dans la recherche de solutions[16].

On peut attendre mieux comme réponse progressiste étant donné qu’il est connu que ce système est classiste et raciste. En effet, les auteurs ont beau être majoritairement des hommes, nous ne pouvons pas tous les mettre dans le même panier. Et ce, pour la simple raison que tous les auteurs n’ont pas le même rapport à la justice, selon leur classe et leur race, et que, malgré l’impunité perçue, tous les auteurs ne subissent pas les mêmes conséquences pour leurs actes. En effet, criminaliser certains actes tend à criminaliser des personnes « déjà dans le radar de la police[17] », ces personnes étant plutôt précaires et/ou non blanches. Par exemple, les lois sur le harcèlement de rue touchent en premier lieu les personnes dont la rue est un lieu de sociabilité[18]. Considérer ce facteur comme critique ne revient pas à justifier ce type de comportements, mais permet de comprendre qui est indirectement visé, d’un côté, et qui reste impuni de l’autre. Cela nous oblige également à réfléchir à l’intérêt de criminaliser ce genre d’actes tout en en laissant un tas d’autres impunis puisque moins visibles et mieux cachés. Nous renvoyons aux écrits de Françoise Vergès, Angela Davis, Norman Ajari et Gwenola Ricordeau[19] pour aller plus loin sur les liens entre criminalisation des violences sexistes et sexuelles et racisme. Citons également l’exemple récent de Taha Bouhafs, qui a fait polémique[20] et permet d’aborder à la fois la question du racisme et celle des problématiques de violences sexistes et sexuelles dans les milieux politiques de gauche. Nous n’irons pas plus loin sur ces questions-là dans le cadre de cette étude mais soulignons l’importance de les garder à l’esprit afin d’éviter de basculer dans un discours sécuritaire et raciste.

Enfin, nous estimons utile de rappeler que, de la même manière que les auteurs ne sont pas égaux face à la justice, les victimes ne le sont pas non plus, et il faut respecter leur choix d’avoir recours ou non à la justice. Comme le dit Ricordeau :

Il ne s’agit pas de culpabiliser les femmes qui font le choix de porter plainte si elles pensent trouver ainsi une solution à leurs besoins. Mais toutes les femmes ne peuvent pas utiliser le système pénal comme une ressource. Que fait-on des victimes pour lesquelles il ne peut pas y avoir de procès ? Trouvons des espaces où on se reconnaît en tant que victimes, où on est écoutées, plutôt que de dépendre d’un système dont on sait qu’il est foncièrement raciste, classiste, misogyne. Depuis des siècles, les femmes savent comment survivre aux violences. Partons de nos forces, de nos savoirs[21].

La généalogie de la justice transformatrice, dont nous décrirons certains aspects plus loin, s’inscrit justement dans les pratiques de celles et ceux qui n’avaient pas la possibilité de faire appel à la justice pénale, comme les personnes afro-américaines, les personnes sans papiers, les travailleuses du sexe, les populations autochtones, etc. Nous devons beaucoup à ces personnes moins visibles et à leurs pratiques, rendues connues et théorisées par la suite par des criminologues et autres universitaires.

Abolitionnisme féministe et justices alternatives

Il nous faut maintenant évoquer deux types de justice alternative qui proposent de répondre aux violences sexistes et sexuelles autrement que par l’incarcération : la justice transformatrice, souvent corollaire d’une approche abolitionniste du système pénal, et la justice restauratrice, moins radicale dans le sens où elle ne cherche pas une rupture du système pénal mais propose plutôt de fonctionner autrement au sein de celui-ci.

Nous estimons qu’en tant que société, nous avons mieux à proposer qu’un écartement temporaire et une punition sévère pour répondre à la fois plus adéquatement aux besoins des victimes et responsabiliser réellement les auteurs. En Belgique, bien qu’insuffisante[22], la prise en compte des violences sexistes et sexuelles est plus grande depuis quelques années. Le développement de Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS), aujourd’hui au nombre de 7, en témoigne. Ce sont des lieux où sont centralisés différents services permettant une prise en charge plus globale de la victime, avec des soins médicaux et psychologiques, ainsi que la possibilité de déposer une plainte auprès de policier·ère·s formé·e·s aux questions de violences sexistes et sexuelles. C’est selon nous une grande victoire. Par contre, les projets de lois allant dans le sens d’un durcissement des peines et d’un recours plus fréquent au pénal nous semblent, pour toutes les raisons évoquées plus haut, contre-productifs. Qu’est-il possible de mettre en place pour se substituer à la justice pénale ? Comment résoudre ces tensions entre abolitionnisme et volonté de gestion active des violences sexistes ? On peut aller voir du côté de l’abolitionnisme féministe[23], qui « n’est ni un courant du féminisme, ni un courant de l’abolitionnisme pénal » même si « [l]es options stratégiques débattues au sein de l’abolitionnisme féministe sont nombreuses et recoupent, en partie, celles dont débattent les divers courants abolitionnistes[24]. » Parmi ceux-ci, nous retrouvons les courants qui « prônent surtout la prise en charge non punitive des auteurs de préjudices (y compris sexuels) et [qui] mettent en place des dispositifs (…) qui mobilisent des membres de la communauté, sur la base du volontariat, pour entourer et accompagner ces personnes[25]. » On parle ici de justice transformative ou transformatrice[26]:

Celle-ci promeut des formes communautaires d’autonomisation de la justice pénale : elle repose sur le développement des structures et de procédures qui permettent, sans recourir à la justice pénale, aux personnes victimaires, aux auteur·rices et aux membres de la communauté à la fois de répondre aux besoins des victimes (sécurité, réparation, guérison, etc.), mais aussi de mettre en place des transformations individuelles et collectives pour changer les conditions sociales qui ont permis aux faits de se produire[27].

Nous voulons proposer de garder en tête la lecture abolitionniste tout en nous situant dans le moment présent, où il faut dans un premier temps composer avec l’existant, puisque, comme le souligne Ricordeau : « [l]’abolition ne peut pas se mettre en place du jour au lendemain, elle exige de profondes transformations sociales. Ce qu’on peut faire aujourd’hui, sans attendre la révolution, ce sont des expérimentations[28] ». Les deux types de justice « alternatives » dont nous faisons état sont, en ce sens, de bonnes manières d’expérimenter, avec leurs forces et faiblesses respectives, en fonction des situations auxquelles elles s’appliquent.

Deux grandes associations féministes belges – le CVFE et Vie Féminine – se sont récemment emparées de la question de la justice transformatrice[29]. Malgré la diversité des pratiques et des approches de ce qui est communément labellisé comme « justice transformatrice », Juliette Léonard, reprenant Ricordeau, y identifie quatre objectifs transversaux :

  1. le soutien à la personne survivante, sa sécurité et son auto-détermination
  2. la responsabilité de l’agresseur et son changement de comportement
  3. les changements communautaires en faveur de principes et de pratiques non oppressifs et non violents
  4. les changements politiques et structurels des conditions qui permettent au préjudice de se produire[30].

 

Ces pratiques existent déjà dans des communautés où le recours à la police et à la justice peuvent être compliqués et existent depuis longtemps dans les communautés autochtones d’Amérique du Nord. Le documentaire « Hollow Water[31] » porte sur une réserve autochtone au Canada en prise avec de nombreux cas d’abus sexuels et d’inceste. Le documentaire montre comment ce problème a été pris en charge par les membres de la communauté, suite à un compromis trouvé avec le tribunal local. Il y a toute une réflexion qui est menée sur le fait de ne pas vouloir envoyer les siens dans la gueule du loup, à savoir dans un système qui les opprime et réprime depuis qu’il s’est installé sur leurs terres. Tout le long, on suit plusieurs personnes ayant commis des abus sexuels et autres violences, et on voit comment les membres de la communauté (notamment des travailleurs sociaux), de manière volontaire, décident de les accompagner vers un chemin de « guérison ». Parallèlement, les victimes sont mises en sécurité et leurs besoins écoutés. Les méthodes employées puisent dans l’histoire ancestrale et consistent principalement en des « cercles de guérison » pour les auteurs. Il y a également des moments publics, où une reconnaissance des faits et des excuses sont faites. Ce travail est contraint dans le sens où il y a un contrat avec la préfecture locale. Si l’auteur refuse de collaborer et de suivre les conditions de justice décidées par la communauté, son cas est remis à la justice pénale. Cet exemple montre la flexibilité qu’il peut y avoir dans le fait de créer des procédures transformatrices tout en composant avec la réalité juridique pénale. Il montre également, chose que l’on reproche parfois à la justice transformatrice, que ce travail est chronophage et énergivore[32] car il doit s’inscrire dans la durée.

La justice restauratrice, quant à elle, est plus ancrée dans le système pénal et ne cherche pas forcément à s’y substituer, mais plutôt à établir un dialogue entre des victimes et des auteurs dans le cadre d’un même type de préjudice. Comme la justice transformatrice, il n’y a pas une seule façon de pratiquer la justice restauratrice. Il s’agit d’une panoplie de pratiques et de méthodes qui tendent vers une réappropriation du conflit par les parties concernées : la victime, l’auteur et la communauté dans une

procédure tournée vers l’avenir et une résolution des problèmes en laissant une place à la créativité et à la flexibilité dans le choix des finalités de la démarche. (…) Elle promeut alors la restauration des participants à la démarche et la réparation du dommage causé plutôt que la punition de l’auteur de l’infraction[33].

Les outils employés sont souvent la médiation et la concertation restauratrice en groupe[34]. Dans « Je verrai toujours vos visages », un film de Jeanne Herry, on retrouve des applications concrètes de la justice restauratrice, à travers deux histoires : celle d’auteurs et de victimes de braquage et de vol avec violences et celle d’un auteur et d’une victime d’inceste. Elle peut donc s’appliquer dans des situations assez variées. Les processus peuvent être similaires à ceux employés dans la justice transformatrice, à savoir des cercles de parole, une prise en compte des besoins des uns et des autres ; la grande différence étant que dans l’exemple de la justice restauratrice, les auteurs ont déjà été condamnés par un·e juge et/ou ont purgé, ou purgent encore, leur peine. Ce dispositif ne sert donc pas d’alternative à la justice pénale[35] dans ces cas, mais est complémentaire à celle-ci, permettant de répondre aux besoins des victimes évincées par le procès, de responsabiliser davantage les auteurs et parfois simplement d’établir un cadre clair avec des demandes très concrètes.

La justice restauratrice a été critiquée par les tenants de la justice transformatrice pour plusieurs raisons[36], dont notamment le fait qu’il ne soit pas forcément souhaitable de revenir à un état antérieur aux torts commis mais qu’il serait préférable de transformer les conditions ayant mené aux torts.

Dans le cadre des violences conjugales, certains outils de la justice restauratrice et de la justice transformatrice ne sont pas facilement applicables et méritent plus de discussion et de précautions. C’est le cas de la médiation familiale par exemple, un des outils de la justice restauratrice, qui pose question en raison des mécanismes de domination et d’emprise qui peuvent exister lorsqu’il y a des violences domestiques. La Convention d’Istanbul[37], ainsi que les associations de terrain comme Vie Féminine[38] appellent à la vigilance quant à l’emploi de la médiation familiale, qui peut parfois se révéler contre-productive. Cette position n’est cependant pas unanime et fait l’objet de débats au sein des milieux féministes[39]. C’est également le cas de l’importance accordée à la communauté et/ou aux proches de la victime et de l’auteur. En effet, impliquer la communauté ou la famille peut se révéler problématique lorsque celles-ci soutiennent, banalisent voire encouragent les agissements de l’auteur[40], empêchant – et c’est souvent le cas – une réelle remise en question et ne permettant pas un contrôle social efficace. Nous sommes d’avis que les deux perspectives méritent d’être explorées et qu’elles peuvent coexister. Compte tenu des circonstances, il est possible de développer des pratiques de justice restauratrice tout en cherchant à tendre vers de la justice transformatrice. Il est également important de réfléchir à leur cadre d’application.

D’une certaine manière, le milieu associatif développe certains aspects de la justice transformatrice. Prenons le travail de prévention, de sensibilisation et de réparation dans le cadre de l’éducation permanente féministe par exemple. Une association d’éducation permanente féministe telle que Vie Féminine participe à ces trois dimensions, même si la dimension réparatrice n’est pas reconnue comme une mission de l’éducation permanente et si elle peut parfois être mise au second plan en raison d’un caractère urgent inhérent au travail avec des victimes. Le cadre que permet l’éducation permanente n’en demeure pas moins propice à la réparation et la reconstruction des victimes[41].

Il y a également le travail avec les auteurs réalisé avec des asbl qui proposent des groupes de responsabilisation tels que Praxis, Prélude, etc. Ces dispositifs font partie des mesures judiciaires alternatives pouvant être proposées suite à une médiation pénale, dans le cadre d’un sursis probatoire ou encore d’une suspension du prononcé[42].

La réparation et la transformation, nous l’aurons compris, ne se trouvent pas forcément au sein des dispositifs juridiques, mais peuvent se trouver dans des asbl où il y a les trois acteurs clés des justices réparatrice et transformatrice : les victimes, les auteurs et la communauté ou la société. Il n’empêche que ce travail est réalisé de manière professionnelle – ce qui va à l’encontre des principes de la justice transformatrice, faite de manière bénévole par et pour la communauté, dans une posture de non-expertes et d’autonomisation des participant·es – et non concertée. Aucune asbl ne revendique ouvertement un label de justice transformatrice mais certains éléments peuvent s’y retrouver. C’est également dû au fait que la justice transformatrice est avant tout une boite à outils, un ensemble de réflexions, de balises, plus qu’une marche à suivre fixée comme la justice restauratrice peut parfois l’être. Si nous soulignons la prégnance du milieu associatif dans la lutte contre les violences de genre, c’est parce qu’il semble répondre plus efficacement aux besoins des protagonistes que ne le font les institutions plus impersonnelles qui composent le système pénal. Il existe en réalité une panoplie d’outils en dehors du triptyque police-justice-prison et ce n’est pas parce que nous nous soustrayons de ceux-ci que plus rien d’autre ne peut être fait pour agir activement contre les violences, bien au contraire. Et si nous n’avons évoqué que quelques associations avec des positions assez progressistes en termes de féminisme, nous ne faisons pas de généralisation, le milieu associatif en éducation permanente étant assez hétérogène et ne partant pas toujours des besoins de ses participant.es. Nuançons également nos propos avec le fait que la justice transformatrice est très critique de ces approches réformistes qui consistent à institutionnaliser des pratiques pouvant être réalisées par des individus, sans ce genre d’intermédiaire qui crée de fait un rapport inégalitaire.

Ce tour d’horizon de différentes pratiques et méthodes de justice alternative nous permet d’affirmer qu’il n’y a pas une seule façon de rendre justice qui corresponde parfaitement aux attentes de toutes les victimes. Il s’agit, en explorant des alternatives, d’« élargir le menu »[43] et de voir au-delà de la simple réponse pénale qui peut, nous l’avons vu, s’avérer contre-productive et qui ne répond pas suffisamment aux besoins des victimes, comme l’ont notamment montré les dernières enquêtes menées auprès de celles-ci[44]. Selon Coker, la justice transformatrice permet d’améliorer la capacité de la justice restauratrice à intervenir dans les affaires de violences domestiques, d’où l’intérêt de les penser conjointement et non pas en opposition[45].

Enfin, nous partageons l’avis d’Yves Citton et de Camille Noûs sur la justice transformatrice, qu’il ne faut ni encenser ni rejeter en bloc :

La justice transformatrice ne saurait donc se présenter comme la panacée à tous nos problèmes sociaux. Elle est au mieux une façon – parmi d’autres, souvent meilleure que les autres, moins dommageable, moins inique, plus durable, plus émancipatrice – d’approcher, de neutraliser et de remédier à certaines formes d’injustice.[46]

Passons à présent à l’analyse critique d’un dispositif de responsabilisation des auteurs[47] de violences, proposé par l’asbl Praxis. Nous allons nous intéresser à ce cas concret afin de montrer l’intérêt de ce travail et comment il permet de réellement répondre à un pan des violences sexistes et sexuelles sans passer par le punitif.

La responsabilisation des auteurs de violences conjugales et intrafamiliales

Praxis n’est pas née pour faire de la justice transformatrice. Mais quand j’ai commencé à m’intéresser à ces questions et à lire des textes là-dessus, j’ai remarqué que ça faisait écho à plein de choses qu’on faisait aussi à Praxis, auxquelles on est sensibles, auxquelles on réfléchit. Il y a certainement des liens à faire. Par exemple, le fait de considérer l’auteur dans ses besoins, de considérer que ça a du sens de travailler avec la personne qui a agi violemment, d’avoir des personnes qui ont le rôle de faire circuler la parole, la prégnance du groupe, etc.[48]

Praxis est une asbl de responsabilisation d’auteurs de violences conjugales et intrafamiliales active dans 12 villes de Wallonie et de Bruxelles, avec des antennes à Bruxelles, à La Louvière et à Liège. Praxis fait partie des pôles de ressources bruxellois et wallons qui regroupent : le CVFE (Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion) à Liège et Solidarité Femmes à la Louvière en Wallonie, les trois asbl se répartissant, entre autres, le travail d’écoute pour la ligne d’écoute violences conjugales[49] et un travail de formation et de sensibilisation. À Bruxelles, l’asbl collabore avec le Centre de Prévention de Violences conjugale et familiales et la Maison Rue Verte.

Notre intérêt pour Praxis est né d’une rencontre organisée par le Steki, en collaboration notamment avec la CLAC (Collectif de Luttes Anti Carcérales) et d’autres groupes militants, dans le cadre d’un cycle de conférences sur l’abolition pénale[50]. Nous avons pu interroger Louise Berré[51], intervenante psychosociale à l’antenne bruxelloise et à Nivelles, sur son travail à Praxis, son rapport aux auteurs qui rejoignent les groupes de responsabilisation et ses pistes quant à l’amélioration de ce travail. Dans cette partie, nous nous appuierons sur cet entretien ainsi que sur d’autres sources afin de décrire un travail encore trop peu connu, celui de la responsabilisation des auteurs de violences conjugales et intrafamiliales, dans une optique de justice alternative, « plus humaine[52] » mêlant des aspects de la justice restauratrice et de la justice transformatrice sans pour autant y appartenir totalement[53]. Nous verrons, dans un premier temps, comment se déroule ce travail de responsabilisation et quel public s’y retrouve. Nous nous attarderons ensuite sur la question de l’efficacité d’un tel dispositif, à travers l’évaluation de la récidive. Enfin, nous montrerons l’intérêt, les limites et les marges d’amélioration d’un tel dispositif en le mettant en lien avec d’autres outils similaires existants.

  1. Un parcours[54] à Praxis

Un parcours à Praxis consiste en 42 heures de séances de groupe, réparties sur 21 semaines, avec 2 heures de séances par semaine, 9 partipant·e·s par groupe, animé·e·s par deux intervenant·e·s psychosociaux·ales. Dans le terme « parcours », il y a l’espoir d’aller d’un point a à un point ; d’accompagner la responsabilisation, pour comprendre, reconnaitre et arrêter la violence. Comment se passe ce parcours concrètement ? Nous proposons dans un premier temps de nous intéresser à la description qui est faite par Louise de son propre travail à travers la retranscription de certaines parties de l’entretien que nous commenterons au fur et à mesure :

 

Mona Malak : En quoi consiste votre travail ici à Praxis ?

Louise Berré : Le gros du travail c’est d’accompagner, en groupes, des personnes qui ont eu un ou plusieurs comportements de violence, dans leur couple et/ou dans leur famille. Les personnes qui vont arriver ici vont soit arriver par la voie de la justice, soit à travers une demande volontaire. Généralement, ma semaine s’organise en entretiens, je vais rencontrer les personnes au moins deux fois en individuel, leur expliquer ce que c’est Praxis, et eux m’expliquent leur situation. J’ai également des séances de groupes. Une fois qu’ils ont fini la phase individuelle préalable, ils rentrent dans des groupes avec d’autres personnes qui ont également agi des comportements de violence. Ma semaine se structure principalement entre ces deux activités-là. Je fais aussi des plages de ligne d’écoute ? qui consistent à répondre à la ligne d’écoute violences conjugales où ce sont les victimes, les auteurs, les proches ou n’importe qui d’autre qui peut appeler. Ensuite, il y a tout ce qui est lié à la vie d’une asbl, c’est-à-dire des réunions d’équipe, des réunions plus cliniques où on parle de ce qu’il se passe dans les séances de groupes ou dans les séances individuelles. Nous faisons aussi du travail de sensibilisation à destination de divers publics, quand nous en avons l’occasion. Enfin, il y a les personnes qui ont de nombreuses années d’expérience ici à Praxis qui donnent aussi des formations, surtout à destination des professionnel·les.

MM : Pouvez-vous nous parler du profil de votre public ?

LB : Il y a approximativement 75% de judiciarisés et 25% de volontaires. Les volontaires, ce sont par exemple des personnes qui viennent parce que le SAJ [service de l’aide à la jeunesse] leur a dit qu’il fallait mettre des choses en place, comme Praxis, par rapport à la garde de leurs enfants. Les personnes volontaires arrivent souvent poussées dans le dos. Je pense que de manière générale, quand on arrive chez un psy ou chez quelqu’un chez qui on vient trouver du soutien, il y a souvent des proches qui nous y poussent. En tout cas, une demande est, à mon sens, rarement tout à fait individuelle et née de soi, il y a des personnes qui l’encouragent autour. Au niveau démographique, le public est majoritairement masculin (96,1%) hétérosexuel (99,3%) avec une moyenne d’âge de 38 ans. Le taux d’emploi est de 56,2%. Ils sont 57,6% à être en couple mais nous ne savons pas si ce sont des personnes en couple avec des conjointess sur qui il y a eu des faits de violence. Ils sont 80,8% à être parents. Le pays de naissance est, pour la grande majorité (83,8%) la Belgique. Les autres sont nés au Maroc, en Italie, en France, au Congo, et en Algérie. En sachant que toutes ces données-là vont être influencées par le fait qu’en phase préalable on n’a pas tous, tout le temps, le réflexe d’aller demander le pays de naissance ou d’autres informations.

MM : Quelle est selon vous la différence entre les volontaires et les judiciarisés ?

LB : Généralement, un groupe est constitué de 9 participants : 7 judiciarisés et 2 volontaires. Il y a, je trouve, une plus grande remise en question de la part d’une personne volontaire. Ils viennent évidemment moins avec la contrainte et les pieds de plomb. Par contre, ils vont aussi généralement moins tenir. Surtout, ce qui est compliqué avec les volontaires, c’est que comme il y a moins de places réservées pour eux dans les groupes, la liste d’attente, le délai pour entrer dans un groupe est assez long, donc ils décrochent. Quand on les rappelle 8 mois après leur entretien en phase préalable pour leur dire qu’il y a une place qui s’est libérée, ils ne viendront pas d’office, parce qu’ils ne sont souvent plus dans cette démarche-là ; donc on perd plus facilement les volontaires. Mais moi je trouve ça intéressant de travailler avec la contrainte judiciaire, parce que c’est aller chercher dans quelque chose d’obligatoire – et on ne va pas se leurrer, ils sont obligés d’être là – d’aller chercher une demande, même infime, quelque chose qui leur appartient, dans quelque chose qui ne leur appartient de base pas[55] et de réussir à tirer leur épingle pour trouver un intérêt dans cette obligation. Et dans cette recherche-là, il y a quelque chose de très réaliste par rapport au monde dans lequel on vit. La créativité dont ils font preuve là-dedans peut parfois m’impressionner.

MM : Y a-t-il beaucoup d’abandons ?

LB : Oui. Le taux de complétion est de 56,3% et l’abandon se passe à 75% avant la 7ème séance. Donc une fois qu’ils ont passé la 7ème séance, ça prend. Mais il y a quelques séances de groupes nécessaires à l’adhésion[56].

MM : Comment expliquez-vous ces chiffres ?

LB : Pour les personnes judiciarisées, ça peut s’expliquer par des facteurs extérieurs, le fait qu’elles soient précaires, en recherche d’emploi, etc., donc parfois, même si ça semble être une priorité de faire sa condition de justice, ça interfère avec d’autres priorités fondamentales de la vie[57]. Ce sont des personnes qui ont des difficultés d’organisation, des difficultés de déplacement. C’est compliqué d’être dans quelque chose de régulier, d’assurer ses rendez-vous, de venir à l’heure pile, etc. Parfois c’est nous qui arrêtons leur participation s’il y a un point de l’engagement qui n’a pas été respecté. Si par exemple il y a trop de retards, trop d’absences, alors on arrête la participation.

MM : Vous dites que c’est un public précaire, pouvez-vous développer davantage ?

LB : J’anime un groupe à Bruxelles et un groupe à Nivelles. Mon groupe à Bruxelles est généralement constitué d’une population issue de l’immigration. C’est un groupe qui se réunit l’après-midi, où viennent surtout des personnes qui sont au chômage et qui ont des difficultés à trouver un emploi. À Nivelles, il y a beaucoup moins d’immigration, mais par contre c’est un public plus ouvrier, et il y a plus de questions de consommation d’alcool. (…) Peu importe finalement quel type de précarité c’est, j’ai l’impression de la retrouver dans mes deux groupes. Pourquoi ces personnes sont-elles surreprésentées ? Le fait qu’elles vivent dans des logements exigus fait que quand il y a de la violence, ça s’entend. Aussi parce que ce sont des personnes qui sont déjà dans le radar judiciaire, dans le radar de la police, et qui sont déjà en lien avec le secteur psychosocial. Donc ce sont des personnes qui peuvent moins se cacher. D’autres hypothèses sont liées au fait qu’elles sachent moins se défendre face à la justice, qu’elles ne puissent pas se payer un avocat, etc. Pourtant, quand on regarde les chiffres, il y a de la violence conjugale et intrafamiliale dans toutes les franges de la population. Je crois que c’est quelque chose dont nous sommes conscient·e·s et qui va parfois colorer nos interventions ou nous donner des points d’attention. On va par exemple essayer de ne pas utiliser des outils trop scolaires qui risquent de les mettre en difficulté. On va être sensibles au public qu’on a. Ils ont des journaux qu’ils doivent remplir toutes les semaines, où ils disent ce qu’ils ont vécu durant la semaine, puis ils doivent nous les remettre à chaque début de séance. Cela nous permet de les questionner sur leur situation par rapport à leur travail par exemple, ou d’aller explorer d’autres facettes de leur situation. On ne va pas juste parler des comportements de violences. Des situations comme la recherche d’un appartement ou d’un travail peuvent être très préoccupantes et il y a quand même un lien entre ces facteurs stressants et la violence qu’ils peuvent exercer, voilà pourquoi nous les prenons en compte.

Prenons le temps de commenter ce début d’entretien. Nous pouvons nous interroger sur la possibilité pour les hommes riches de se soustraire à la fois à la justice punitive et à la justice restauratrice, dans une logique de classe. Il est primordial de pouvoir attaquer la violence partout où elle se trouve, et non pas uniquement là où elle est la plus visible. Les hommes blancs et aisés peuvent à la fois éviter d’aller en prison et de finir dans un dispositif tel que Praxis, notamment à travers des avocats, qu’ils payent cher pour bien les défendre, et puisqu’ils sont moins surveillés et moins perçus comme étant dangereux et donc moins susceptibles de se faire arrêter ou condamner[58]. Ne faudrait-il pas réfléchir à une responsabilisation plus généralisée, plutôt que de cibler systématiquement le même public ? Ensuite revient la question de la plainte. Pourquoi les femmes ne dénoncent-elles pas plus souvent leur conjoint violent ? Outre les mécanismes de domination complexes, une hypothèse est que ce serait pour ne pas exposer leur conjoint, ni elles-mêmes, à la police ou à l’État plus généralement, parce qu’elles seraient déjà vulnérables ou issues de communautés vulnérables[59]. Notons qu’il y a parfois une peur d’envoyer un conjoint derrière des barreaux alors même que c’est généralement la réponse judiciaire la moins fréquente. S’il y avait une plus grande connaissance de ces modes alternatifs, il y aurait potentiellement plus de volontaires dans les dispositifs comme Praxis. Ce ne sont que des pistes de solution que nous devrions approfondir et explorer avant d’arriver automatiquement à la réponse répressive et au durcissement pénal. Ce qui pose également question est la dimension pouvant être perçue comme civilisatrice. La problématique du multiculturalisme a déjà été questionnée par l’asbl[60], mais il faudrait aller plus loin pour comprendre les mécanismes en jeu[61].

Nous arrivons ici à une limite soulevée par Louise : celle de l’absence de recherche. Il y a bien évidemment une récolte et une analyse de certains chiffres, que les travailleurs·euses réalisent de manière bénévole ainsi qu’une recherche réalisée par la criminologue Charlotte Vanneste sur le taux de récidive – nous y reviendrons – mais Praxis n’a pas les ressources pour avoir un bureau d’étude et des chercheur·e·s, même si les travailleur·euse·s et la direction de l’asbl produisent des écrits.

  1. Les groupes de responsabilisation[62]

[I]l ne s’agit pas de « groupes de parole » ni de « groupes de soutien » même si la parole est bien le vecteur de notre travail et le soutien un des outils de celui-ci. On ne vient pas à Praxis pour parler d’abord de son mal-être existentiel, même si celui-ci est souvent évoqué. On vient à Praxis pour participer à un « groupe de responsabilisation par rapport à mes actes de violences ».[63]

MM : Quel est le but des groupes de responsabilisation ?

LB : Nous envisageons le processus de responsabilisation à travers 5 axes. Le premier axe, c’est  « cesser de nuire à l’autre par la violence physique ou toute autre forme de violence ». L’objectif premier, c’est d’arrêter la violence. Le deuxième c’est « reconnaitre ses actes de violence et en examiner l’impact sur soi et sur ses proches, singulièrement les enfants. » Par exemple on va faire des exercices avec eux, on va leur demander, à leur 7ème ou 8ème séance de groupe, de raconter les faits qui les amènent là. Les autres participants du groupe doivent se mettre dans la peau des différentes personnes : l’auteur, la victime et les témoins. Ils vont écouter le récit en se mettant dans la peau de ces derniers, puis on va leur demander ce qu’ils ont ressenti en termes d’émotions. L’objectif, c’est de se connecter à ce que ressent l’auteur, ce que ressent la victime et ce que ressentent les personnes témoins. Le troisième axe, c’est « identifier et modifier les idées, principes, croyances et valeurs qui servent à justifier le recours à la violence ». Quand les auteurs arrivent, ils ont des discours qui s’apparentent à de la justification. L’idée, c’est de les amener à pouvoir parler des comportements qu’ils ont agis sans les justifier. Le quatrième axe, c’est « développer sa capacité à exprimer une grande diversité d’émotions et développer une variété de façons de réagir. » C’est un public fort alexythimique[64], donc on travaille beaucoup les émotions. Généralement, quand ils arrivent en séance, on a un rituel où on leur demande dans quelle émotion ils arrivent ce jour-là, ils doivent identifier les émotions de leur semaine, etc. On essaye de faire des liens entre les émotions et les sensations qu’ils ont dans le corps, entre leurs émotions et leurs besoins, et de voir comment exprimer leurs besoins autrement que par des comportements de violence. Souvent, derrière un comportement de violence il y a un besoin qui n’a pas pu être exprimé. Et le dernier axe, c’est « examiner le lien entre la consommation de produits psychotropes et ces actes de violences. » Je n’ai pas l’impression de beaucoup travailler cela dans les groupes, mais en séance ils ne peuvent pas avoir consommé. Le but est de les amener à faire des liens entre leurs comportements de violence et la consommation, et les violences qu’eux-mêmes ont subies. On parle de continuum de violence. Si par exemple à l’école ils recevaient de la violence, alors dans leur système de valeurs, ils peuvent se dire que ce n’est pas si grave la violence, que c’est même normal d’en recevoir, que ça fait partie d’une pratique éducative normale. Cela peut concerner toutes sortes de violences : les violences dans l’enfance, dans le parcours migratoire, les violences policières, les violences institutionnelles, etc.

Attardons-nous un instant sur ces dernières phrases autour de la violence. Le travail sur la responsabilisation des auteurs mène conséquemment à interroger la violence institutionnelle et collective. Ce travail autour des conditions qui créent la violence, en plus des motifs individuels, est un des facteurs différenciant la justice transformatrice de la justice réparatrice. Donna Coker évoque quelques exemples de programmes de justice transformatrice qui mêlent le travail de responsabilisation avec une réflexion militante qui tend vers la transformation des conditions sociales, afin d’attaquer le problème à sa racine et aller de l’individuel au collectif[65]. Le travail de responsabilisation collectif plutôt qu’individuel comporte beaucoup d’avantages, selon Louise :

MM : Quel est l’intérêt de faire un travail en groupe[66] ?

LB : Il y a plein d’excellentes raisons. Un élément phare dans la violence conjugale et intrafamiliale, ce sont les difficultés relationnelles. Il n’y a pas meilleur laboratoire qu’un groupe pour travailler sur les relations, travailler sur les interactions en direct. De plus, la violence conjugale isole la victime mais elle isole aussi l’auteur. Le travail en groupe permet de recréer du réseau, d’avoir du soutien par les pairs. Cela permet également de pouvoir se reconnaitre dans les histoires des autres. Il est parfois difficile de se remettre en question, mais on sera plus à l’aise de remettre en question les actes d’autrui, même quand c’est une histoire similaire à la nôtre. C’est parfois moins difficile et moins honteux d’aller chipoter dans l’histoire de l’autre et d’élargir les points de vue. En plus, il est plus facile de recevoir des conseils ou des critiques de la part de quelqu’un qui nous ressemble, qui nous comprend parce qu’il a vécu quelque chose de similaire. C’est plus légitime, plus entendable, voire plus pertinent. Le groupe permet la confrontation, le soutien, le fait d’expérimenter l’écoute, le respect, le non-jugement, la gestion des conflits. On travaille sur la manière dont ils vont exporter ces expériences dans leur vie conjugale et familiale.

MM : Quelles sont selon vous les limites de la méthode groupale[67] ?

LB : Je dirais principalement la question de la langue. Je me souviens qu’au tout début ça me dérangeait de dire non à des personnes qui ne parlaient pas bien français, mais pour avoir travaillé avec des participants qui ne parlaient pas suffisamment le français, je sais que c’est trop dur. Parce que ça réactive parfois un sentiment d’humiliation, de confusion, de ne pas comprendre ce qu’il se passe, de ne pas savoir réagir à chaud, etc. Si on ne maitrise pas suffisamment la langue, alors ça n’ira pas, ce sera un échec. Nous renvoyons ces personnes-là pour faire un suivi individuel[68]. Par ailleurs, si leur santé mentale est trop précaire, on va estimer que le groupe leur sera trop confrontant et compliqué. Généralement, nous les renvoyons vers des structures pas très chères, des plannings familiaux, des centres de santé mentale, mais il faut encore qu’il y ait un psy qui sache parler la langue, ou qui va être d’accord de travailler avec la contrainte judiciaire. Il y a plein de psys qui refusent de travailler avec la contrainte judiciaire parce qu’ils ne veulent pas avoir des comptes à rendre à la justice. Mais nous ne disons rien à la justice par rapport au contenu, nous indiquons juste les présences, absences et retards. Pour le reste, nous sommes tenu·e·s au secret professionnel, sauf s’il y a un danger imminent pour la vie de la personne ou d’un de ses proches.

MM : Les personnes sont-elles au même moment dans leur parcours ?

LB : J’ai un groupe le lundi soir et un le vendredi après-midi, ce sont des groupes continus qui ne s’arrêtent jamais, on les appelle les groupes ouverts. Donc il y a dans les groupes du vendredi une personne dont c’est la 3e séance de groupe et un ancien qui en est à sa 20e. Il y a des niveaux de participation différents. Quand il y en a un qui finit sa dernière séance de groupe, il y a une place qui se libère et on appelle les personnes inscrites sur la liste d’attente. Il y a toujours un roulement dans les groupes. Je trouve ça très intéressant en termes de transmission. Une personne qui est à sa 20e séance peut se sentir valorisée dans cette place d’ancien, elle sera plus responsabilisée, elle aura déjà remis beaucoup de choses en question. Sa présence dans le groupe va permettre de mieux accueillir et de rassurer les nouveaux participants. Les groupes ouverts hebdomadaires constituent le gros de notre travail. Mais il existe aussi des groupes de délestage. Il s’agit de 6 séances de 7h où tou·te·s les participant·e·s commencent et finissent en même temps. On propose cette option quand il y a trop de personnes inscrites sur les listes d’attente à Bruxelles, ou pour les femmes. Parce qu’il n’y a pas assez de femmes pour compléter des groupes hebdomadaires continus donc quand on a un certain nombre de dossiers de femmes, on se dit qu’on a assez pour constituer un groupe.

MM : Constatez-vous des différences entre ces deux groupes ?

LB : Il y a surtout une différence d’intensité. Personnellement, je trouve qu’une séance de 7h c’est plus pénible, mais c’est également très stimulant, on a l’impression d’avoir plus de temps. Alors que c’est le même nombre d’heures. Mais on a l’impression d’explorer plus d’outils, je trouve que ça permet parfois plus de créativité. Une séance de 2h ça passe en un claquement de doigts. Par contre un groupe fermé c’est beaucoup plus lourd en termes de fatigue émotionnelle. Parfois il va se passer des choses très fortes, très intenses, dans les groupes fermés, mais comme tout se passe sur un laps de temps court, c’est comme si c’était un peu volage. J’ai l’impression que le travail a moins le temps de s’ancrer. Je trouve que le fait que ce soit étendu dans le temps, les 21 séances sur 21 semaines, ça permet que le travail soit moins intense mais qu’il s’inscrive de manière plus durable.

Comme évoqué précédemment, Praxis travaille avec des associations d’aide aux victimes et répond à la ligne d’écoute violences conjugales dans le cadre du pôle ressources. Ce rapprochement a permis d’enrichir mutuellement le travail des associations concernées, d’avoir une meilleure intercompréhension et de considérer le problème des violences dans sa globalité. Mais ce rapprochement a mis du temps à être construit. Louise revient sur certaines difficultés :

 

MM : Comment Praxis est-elle perçue par le milieu associatif féministe ?

LB : Je crois que pendant de nombreuses années ça a été une difficulté pour les associations féministes de considérer, alors que ça manque déjà de budget partout, qu’il puisse y avoir du budget accordé pour accompagner les auteurs. Je pense qu’il y avait des freins, il y en a peut-être encore aujourd’hui. Mais le fait qu’en Belgique – et c’est vraiment une chance, parce qu’en France je pense ce n’est absolument pas le cas – il y ait un travail de réseau qui soit fait par rapport à la constitution de ce pôle de ressources[69] nous permet de nous apprivoiser dans nos représentations, dans les stéréotypes qu’on pourrait avoir les uns sur les autres, et donc à finalement créer des ponts entre des associations de victimes et d’auteurs. Je crois que le milieu féministe nous reconnait maintenant, mais ce n’est peut-être qu’une impression. Il me semble que les milieux féministes de gauche pensent aussi généralement qu’une réponse répressive n’est pas une bonne solution et donc qu’il est nécessaire de penser le travail autrement avec les auteurs et donc de rejoindre un travail comme le fait Praxis. Donc, par rapport aux militantes féministes que je rencontre, je me sens plutôt comprise dans mon métier.

Cet entretien fut pour nous une porte d’entrée vers une façon de faire concrète qui permettait de répondre à la question : « que faire des hommes violents ? »[70] À ce sujet, Louise préfère de parler d’auteurs ayant commis des actes de violence, plutôt que d’hommes violents :

On ne considère pas que ce sont des hommes violents, on considère que ce sont des hommes qui ont eu un ou plusieurs comportements de violence. On va distinguer l’acte et éviter d’essentialiser la personne par rapport à ce comportement-là. Cela va permettre à ces personnes de se sentir exister. Quand ils passent devant la justice, ils n’existent que par rapport à leurs faits. Quand ils arrivent à Praxis, on les fait exister sous toutes les facettes de la personne qu’ils sont.

  1. Un dispositif efficace ?

Un des moyens d’évaluer l’efficacité d’un dispositif juridique s’appuie sur l’analyse des taux de récidive. Selon Charlotte Vanneste, criminologue, il faut analyser ces taux avec prudence, indépendamment du type de délinquance[71]. Concernant les violences domestiques, il est important de noter que le calcul est rendu d’autant plus compliqué que les dénonciations ne sont pas systématiques et que les « violences conjugales ne font pas l’objet de pratiques policières proactives[72] ». Nous avons déjà évoqué la réticence des victimes à porter plainte, mais il y a également une réticence quant à un deuxième signalement, en cas de récidive. En effet : « [c]e défaut de réceptivité [de la part de la police] et de sensibilité peut dissuader la victime de porter plainte une nouvelle fois et conduire ainsi à une sous-évaluation de la récidive[73] ». Elle souligne d’autres limites sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Toutefois, :

Malgré les limites et réserves explicitées ci-dessus, force est de constater que la récidive demeure un critère privilégié pour évaluer l’efficacité ou les résultats des interventions à l’égard d’auteurs de violences conjugales, qu’il s’agisse des différents types de décisions judiciaires dont ils font l’objet ou des différents programmes qui leur sont spécifiquement destinés[74].

En général, dans les cas de violence conjugale, les taux de récidive sont plus élevés après un emprisonnement « écartant l’idée d’un effet particulier de dissuasion sur ceux qui la subissent[75] ».

Dans une recherche pionnière – dans le contexte belge -, Charlotte Vanneste s’est intéressée au taux de récidive des auteurs ayant suivi une formation Praxis, comparé avec celui d’auteurs ayant été incarcérés. Dans le cadre de cette enquête, la récidive est définie « comme tout nouveau signalement au parquet d’une affaire de violence conjugale, observé au cours d’une période de deux années suivant le premier signalement[76]. » Les résultats issus des données du Parquet tendent à montrer que la récidive est d’autant plus élevée que la réponse est lourde et contraignante[77]. Ensuite, les données du parquet ont été couplées à la base de données de Praxis, pour l’année 2010, permettant « d’évaluer à 21% le taux de récidive observé après une orientation vers le programme Praxis[78] » ; contre 44% pour les prévenus mis sous mandat d’arrêt, 54% pour ceux condamnés à une amende et 54% pour ceux condamnés à une peine d’emprisonnement[79]. Il y a donc deux fois plus de risque de récidiver suite à une peine d’emprisonnement que suite à une formation Praxis. Vanneste note toutefois que « [d]ans l’impossibilité de mettre en œuvre une procédure supposant un groupe contrôle, les conclusions ne peuvent répondre aux standards d’un modèle expérimental[80]. » Malgré ces lacunes, il est possible d’affirmer que les groupes de responsabilisation sont plus efficaces et ont des résultats plus prometteurs en termes de récidive que « des mesures judiciaires strictement répressives[81] ». Vanneste conclut en encourageant à approfondir l’analyse et à soutenir et développer davantage ce genre de programmes[82].

Un autre intérêt de développer et de faire plus largement connaitre des dispositifs tels que Praxis est d’afficher que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas enfermement que rien n’est fait, au contraire. En effet, selon Louise, il est important :

[d]e voir qu’il y a une réponse qui est donnée à ce genre d’acte. Je ne suis pas pour un scénario où parce qu’il n’y aurait pas de prison, il n’y aurait rien. Il y a quelque chose qui est fait et ce n’est pas que symbolique. Je pense que ça travaille le sentiment pour la communauté ou la société de se rendre compte qu’on marque que ce n’est pas acceptable, qu’il faut faire quelque chose, et donc ça va donner un sentiment de justice et de sécurité aux personnes[83].

Praxis est un exemple parmi d’autres de dispositif de responsabilisation visant des auteurs de violences domestiques. En France, dans le Pas-de-Calais, il existe un centre d’hébergement pour auteurs de violences, le Home des Rosati qui travaille en collaboration avec un centre socio-éducatif de responsabilisation des auteurs, le centre Clotaire, ainsi que des associations d’aides aux victimes[84]. Ce dispositif, unique en son genre[85], permet de répondre à la fois à problématique de la sécurité et de la mise à distance (permettant surtout aux victimes de rester à leur domicile) et à celle de la responsabilisation. La convention d’Istanbul encourage également à continuer de développer des dispositifs à destination des auteurs, mais pour cela, il faut qu’il y ait plus d’investissement. Pour le moment, l’essentiel des fonds de Praxis (plus ou moins 80%) proviennent de la Justice, à destination des judiciarisés et l’autre partie de la COCOF[86]. Un plus grand financement de la part de la COCOF permettrait d’élargir la capacité d’accueil des auteurs volontaires, et un refinancement général permettrait de toucher plus d’auteurs tout court.

Nous avons voulu montrer ce qui existe et ce qu’il est possible de faire avec de tels dispositifs, même si cela peut paraître insuffisant :

Le travail de responsabilisation que nous proposons se situe aux prémices du changement. Il vise à engager les auteurs dans ce processus de changement. En ce sens, le travail de Praxis peut paraître insuffisant. Il n’en est pas moins incontournable : c’est la première étape d’un processus de changement. Sans lui, le silence s’épaissit sur ces violences. (…) À certains magistrats qui hésitent, nous avons indiqué : entre le classement sans suite (« l’antichambre de la Cour d’Assises » ? nous déclarait une directrice de Maison de Justice) qui renforce l’auteur dans son sentiment de toute-puissance, et l’emprisonnement avec son lot d’effets pervers, tentez le groupe de responsabilisation ![87]

Conclusion

Ainsi, le phénomène #MeToo fut un moment décisif dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous sommes maintenant dans l’étape d’après, où sont discutées, proposées et appliquées les suites à amener au constat d’une violence sexiste répandue, non traitée ou impunie. Nous appelons à la vigilance quant à un certain automatisme punitif qui laisse croire que la réponse aux violences par la répression pénale serait la plus pertinente. Nous avons tenté de montrer, en nous appuyant sur des chiffres et des écrits, que ce n’était pas le cas. En effet, renforcer la répression permet de criminaliser davantage une certaine frange de la population – précaire et racisée – alors même que la violence se trouve à tous les niveaux de la société. En outre, plus la réponse aux violences est répressive, plus la récidive augmente : enfermer des personnes avec des comportements violents dans un entre-soi masculin ne résout donc pas le problème. En attendant d’avoir des alternatives pleinement développées, et même quand nous les aurons, nous ne souhaitons pas faire d’injonction quelconque, que ce soit à porter plainte ou à passer par un autre biais que la justice pénale. Le but de notre étude a simplement été de réfléchir aux défaillances du système pénal et à son incapacité à répondre de manière satisfaisante aux violences dont nous avons fait état. Il existe d’autres systèmes de pensée et d’autres manières de rendre justice : la justice restauratrice et la justice transformatrice, entre autres, que nous avons choisi de penser conjointement au lieu de les opposer[88]. Celles-ci repositionnent les protagonistes d’un tort au centre de sa résolution.

Certains aspects des fonctionnements de ces modèles de justice alternative s’inscrivent déjà en quelque sorte dans le milieu associatif, sans que cela soit toujours conscientisé ou revendiqué. Nous avons en particulier abordé le travail de responsabilisation des auteurs de violences par l’asbl Praxis en Belgique francophone. La responsabilisation en groupe représente un travail conséquent : celle-ci se déploie sur une durée de plusieurs mois, en petits groupes, et avec des degrés d’engagement et de reconnaissance différents en fonction des participants. La responsabilisation a pour but de faire cesser la violence, de faire comprendre ses origines, et de ne plus la reproduire. Une comparaison des taux de récidive permet d’affirmer que le passage par une formation Praxis diminue la récidive par rapport à une incarcération (21% de récidive contre 53%, respectivement[89]). Mais le manque de financement empêche ce travail de se déployer et de toucher un plus grand nombre de personnes. Pourtant, le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO), organe de suivi de l’application de la convention d’Istanbul en Belgique, préconise une meilleure évaluation des programmes destinés aux auteurs et un financement adéquat de ceux-ci[90]. Suite à ce rapport, le Plan d’Action National (PAN) 2021-2025 pour la lutte contre les violences assure qu’il « mettra donc un point d’honneur à prendre en compte au mieux les enseignements tirés par le GREVIO concernant la politique belge (…) ainsi que les diverses recommandations à cet égard[91]», dont la lutte contre la récidive et une meilleure prise en charge des auteurs :

Le PAN 2021-2025 aura donc pour but d’améliorer la lutte contre la récidive en harmonisant, en étendant et en renforçant les programmes de prise en charge des auteurs de violence entre partenaires. Il est primordial de développer des financements pérennes qui permettent d’apporter des réponses structurelles aux difficultés présentes dans ce domaine[92].

Des initiatives telles que Praxis s’intègrent tout à fait dans les objectifs du PAN. Cependant, dans les mesures clés, il est plutôt question d’évaluation (des approches, des dispositifs, du contenu des programmes, etc.) que de financement[93]. Des évaluations qui ne manqueront pas, nous l’espérons, de montrer l’intérêt de renforcer un tel travail et de remettre en question l’approche dominante, majoritairement sécuritaire et répressive.

Enfin, la question de la réparation ou de la transformation, appliquée aux violences sexistes et sexuelles, exige d’adopter une double position critique : à la fois critique à l’égard du positionnement des responsabilités au sein des situations de violence, mais également autocritique des luttes militantes et des pratiques associatives qui s’y consacrent. Il y a là, d’ailleurs, un parallèle assez intéressant à creuser avec la fonction critique de l’éducation permanente qui, quand elle n’est pas doublée d’une autocritique de sa propre fonction au sein des mécanismes sociétaux, s’assimile purement et simplement à de la docilisation populaire. En effet, toute l’ambivalence d’une prise en charge des violences (sexistes et sexuelles, en l’occurrence) alternative aux options dominantes soutenues par l’État s’exprime fortement dans les difficultés mises en exergue par la pratique de Praxis : (sous-)financée pour permettre l’expérimentation d’un exercice différent de la justice, l’action sociale menée par Praxis avec les auteurs semble n’atteindre pleinement son objectif que dans la mesure où elle interroge les modalités dominantes et pleinement assumées qui structurent déjà l’action associative sur ces questions. La dimension autocritique qu’induisent les approches réparatrice et transformatrice de la justice constitue certainement à ce titre l’authentique fonction « progressiste » de ce type de travail, dans la mesure où elle est ce qui encourage les acteurs réels de ces secteurs à penser sous un autre angle ce qui – en situation régulière – constitue l’horizon pratique réel de leur mission et de leur fonction au sein du système pénal. C’est en ce sens que nous voulons, stratégiquement, y voir un rapprochement salutaire avec la position de l’éducation permanente dans l’action sociale de l’État : si elle se contentait d’assumer sa fonction socio-critique sans, au même moment, s’appuyer sur une nécessaire autocritique des pratiques qu’elle se voit contrainte d’exercer et de soutenir, l’éducation permanente finirait elle-aussi par s’apparenter à n’être que la pointe de progressisme d’un système majoritairement répressif dont les associations sont les actrices de première ligne, et dont l’État social actif et punitif en forme le paradigme. On ne peut alors qu’espérer avoir positivement suggéré que les deux secteurs ont les meilleures raisons du monde de se rencontrer et d’engager, méthodologiquement, des démarches de co-recherches.

  • [1] « Etats-Unis : Harvey Weinstein condamné à 23 ans de prison pour agression sexuelle et viol », RTBF, 11 mars 2020. URL : https://www.rtbf.be/article/etats-unis-harvey-weinstein-condamne-a-23-ans-de-prison-pour-agression-sexuelle-et-viol-10453418 (13/03/2023).
  • [2] https://payetashnek.tumblr.com/ 
  • [3] Par système pénal, nous faisons référence de manière indistincte à la justice pénale rétributive, aux prisons et à la police.
  • [4] Entretien avec Françoise Vergès par Clément Arbrun dans « Policière, sexuelle, raciale : Françoise Vergès explique sa « théorie féministe de la violence » », 19 novembre 2020. URL : https://www.terrafemina.com/article/francoise-verges-la-politologue-explique-sa-theorie-feministe-de-la-violence_a355928/1 (19/04/2023)
  • [5] « Données statistiques sur les violences envers les femmes : la Belgique à la traîne ? », 8 mars 2021. URL : https://www.rtbf.be/article/donnees-statistiques-sur-les-violences-envers-les-femmes-la-belgique-a-la-traine-10714387?id=10714387&fbclid=IwAR2oVN_EQeN-iGXmlC3XSwJr0ShAm2I4HHHZ0i45VIu7t_vqVpTxiFuiVDo (19/04/2023). Voir aussi Hulsman Louk, « La criminologie critique et le concept de crime » dans Ricordeau Gwenola, Crimes & Peines. Penser l’abolitionnisme pénal., Editions Grévis, Caen, 2021, pp.114-115.
  • [6] ibid
  • [7] Voir « La réparation au travers de la justice » dans « Réparer les violences conjugales. Au-delà de la justice, une responsabilité collective. » Vie Féminine, Novembre 2022, pp.28-42.

    Voir l’épisode « Sanction sociale, sanction judiciaire : qu’avons-nous appris de MeToo ? » du podcast Avec Philosophie de France Culture, 4/10/2022, URL : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/sanction-sociale-sanction-judiciaire-qu-avons-nous-appris-de-metoo-9936993 (21/04/2023).

  • [8] Voir l’épisode « Sanction sociale, sanction judiciaire : qu’avons-nous appris de MeToo ? » du podcast Avec Philosophie de France Culture, 4/10/2022, URL : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/sanction-sociale-sanction-judiciaire-qu-avons-nous-appris-de-metoo-9936993 (21/04/2023).
  • [9] Il est important de souligner qu’il n’y a pas d’homogénéité dans les expériences des victimes, même si certaines tendances se dégagent.
  • [10] Ruth Morris parle de « cinq besoins fondamentaux » : 1. Le besoin de réponses ; 2. Le besoin de reconnaissance du préjudice subi ; 3. Le besoin de sécurité ; 4. Le besoin de réparation ; 5. Le besoin de trouver du sens. Voir Morris Ruth, « Deux types de victimes : répondre à leurs besoins », dans Ricordeau Gwenola, Crimes & Peines. Penser l’abolitionnisme pénal., op.cit., pp.151-157. Voir également les deux études de Vie Féminine à ce sujet : « Réparer les violences conjugales. Au-delà de la justice, une responsabilité collective. » op.cit., et « Se réparer, se reconstruire après des violences conjugales. Ce que les femmes en disent », Novembre 2022.
  • [11] Adam Christophe et al. Dans Crime, justice et lieux communs. Une introduction à la criminologie., Editions Larcier, Bruxelles, 2014, p.173. De plus, le but de la justice pénale n’est pas de protéger des victimes, ou de répondre à leurs besoins, mais bien de punir un tort qui a été causé à la société, voire à l’Etat. Le tort est vu comme une menace à l’ordre établi de la société. En effet, « [u]n double enjeu de pacification des relations sociales et de légitimation du pouvoir des Etats (…) est à la base de la structuration toujours actuelle de la justice pénale. » Ibid, p.163.
  • [12] Ibid, pp.68-75.
  • [13] « Le problème peut être défini comme la situation qui survient quand (1) les individus ne sont pas rituellement liés par un sens relativement similaire de la vie et de sa structuration et (2) le manque de tels liens aboutit à des conflits de façons de penser, de voir et d’agir. (…) Les problèmes (ou situations-problèmes) sont ainsi définis comme des évènements qui nous détournent négativement de l’ordre dans lequel nous avons le sentiment que nos vies sont ancrées. », Hulsman Louk, « La criminologie critique et le concept de crime » dans Ricordeau Gwenola, Crimes & Peines. Penser l’abolitionnisme pénal, op.cit., p.119.
  • [14] À l’instar de Léonard Juliette dans « Justice transformatrice et violences de genre. Inventer d’autres manières de rendre la justice », CVFE, Août 2022 p.3 : « (…) nous éviterons d’utiliser le langage judiciaire qui parle de crimes, infractions… Nous parlerons de violences ou de processus de violences, ou encore des actes posés, du tort, du préjudice, selon ce que nous évoquons. » De la même manière, concernant l’utilisation controversée du terme « victime », celui-ci « n’est pas parfait et il risque d’enfermer dans un rôle peu reluisant, mais il a le mérite d’être compris par tout le monde. » Ibid, p.2. Certaines personnes lui préfèrent le terme « survivant.e ».
  • [15] En plus du fait que la prison est un lieu où les hommes auteurs d’agressions se confortent entre eux, exacerbant leur misogynie et les maintenant dans le déni plutôt que de les pousser à la remise en question. Voir : « Que faire des hommes violents ? » du podcast de Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi, Arte Radio, 15 octobre 2021, : https://www.arteradio.com/son/61668798/que_faire_des_hommes_violents (20/04/2023).
  • [16] Adam Christophe et al. Dans Crime, justice et lieux communs. Une introduction à la criminologie., Editions Larcier, Bruxelles, 2014, p.166.
  • [17] Citation de Louise Berré, intervenante psychosociale à Praxis, dans un entretien réalisé par nos soins.
  • [18] Voir Léonard Juliette, « Justice transformatrice et violences de genre. Inventer d’autres manières de rendre la justice », op.cit. pp.40-41 et « Contre la pénalisation du harcèlement de rue », Libération, 26 septembre 2017.
  • [19] Vergès Françoise, Une théorie féministe de la violence. Pour une politique antiraciste de la protection, La Fabrique éditions, Paris, 2020 ; Davis Angela, La prison est-elle obsolète ? Editions Au diable vauvert, Vauvert, 2021 ; Ajari Norman, « Phallicisme et abolition. Repenser la justice transformatrice à partir des Black Male Studies », dans Multitudes, n°88, automne 2022, pp.87-93 ; Ricordeau Gwenola, Pour elles toutes. Femmes contre la prison, Lux Editeur, Montréal, 2019.
  • [20] « Taha Bouhafs : un coupable idéal ? (F.Vergès, M.Merteuil, G.Rebucini, J.Thery, S.Waz, T.Agbalika) », via la chaîne Twitch de Paroles d’Honneur. URL : https://www.youtube.com/watch?v=UJAvdrMb7zk (30/03/2023).
  • [21] Gwenola Ricordeau interrogée par Irène Kaufer dans « Abolir les prisons ? Réponse avec la militante féministe Gwenola Ricordeau », Axelle Mag, n°222, octobre 2019, pp. 28-29. URL : https://www.axellemag.be/abolir-les-prisons/, (9/03/2023).
  • [22] Gwenola Ricordeau interrogée par Irène Kaufer dans « Abolir les prisons ? Réponse avec la militante féministe Gwenola Ricordeau », Axelle Mag, n°222, octobre 2019, pp. 28-29. URL : https://www.axellemag.be/abolir-les-prisons/, (9/03/2023).
  • [23] A ne pas confondre avec le féminisme abolitionniste qui plaide pour l’abolition du travail du sexe.
  • [24] Ricordeau Gwenola, « Abolitionnisme Pénal » dans Dorlin Elsa (dir.), Feu ! Abécédaire des féminismes présents, Eidtions Libertalia, Montreuil, 2021, p.20.
  • [25] Ibid. p.22.
  • [26] Voir Morris Ruth, Stories of Transformative Justice, Canadians Scholars Press, Toronto, 2000, pour des exemples concrets. Voir également : le site du collectif fracas, collectif queer et féministe d’aide à la gestion de conflits interpersonnels, de violences et d’agressions au sein de collectifs : https://www.collectif-fracas.com/ et le site du groupe de recherche matrisses : matrisses.bruxxel.org, que nous avons interrogé (voir entretien avec matrisses dans ce numéro). Nous emploierons les termes justices transformatrice et justice transformative de manière interchangeable, ainsi que les termes justices restauratives, restauratrices et réparatrice.
  • [27] Ricordeau Gwenola, « Abolitionnisme Pénal » op.cit., p.23.
  • [28] Gwenola Ricordeau interrogée par Irène Kaufer dans « Abolir les prisons ? Réponse avec la militante féministe Gwenola Ricordeau », Axelle Mag, N°222, Octobre 2019, pp. 28-29. URL : https://www.axellemag.be/abolir-les-prisons/ (19/04/2023).
  • [29] Notamment le CVFE : Léonard Juliette, « Justice transformatrice et violences de genre. Inventer d’autres manières de rendre la justice. », op.cit., et Vie Féminine : « Réparer les violences conjugales. Au-delà de la justice, une responsabilité collective. » op.cit., et « Se réparer, se reconstruire, après des violences conjugales. Ce que les femmes en disent. » op.cit.
  • [30] Léonard Juliette, op.cit. p.9.
  • [31] https://www.nfb.ca/film/hollow_water/ (24/03/2023).
  • [32] Ibid. p.47.
  • [33] Filippi Jessica, « En Belgique. Autour de la médiation et de la concertation restauratrice en groupe (crg) », ERES, Les Cahier Dynamiques, n°59, 2014, p.113.
  • [34] Ibid.
  • [35] Notamment en France où la justice restauratrice ne se substitue pas à une peine carcérale, mais vient la compléter. Cela est plus complexe dans le cas belge où la justice restauratrice peut se substituer à une peine d’incarcération pour des infractions considérées moins « graves ». On parle alors de Mesures Judicaires Alternatives. Voir « Justice restauratrice, justice d’avenir ? », Revue Nouvelle, mars 2011.
  • [36] Léonard Juliette, op.cit. pp.5-6.
  • [37] La convention d’Istanbul est une convention adoptée en 2011 par le Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Elle est ratifiée en 2016 par la Belgique. URL : https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/text-of-the-convention. Malgré sa ratification, elle n’est que très partiellement appliquée et il reste beaucoup de points d’attention que soulignent les associations féministes de terrain dans leur rapport alternatif sur la Convention en 2019 dont une partie des recommandations ont été reprises par le comité chargé du suivi de l’application de la convention, le GREVIO, dans son rapport d’évaluation en 2020.
  • [38] D’Hooghe Vanessa « Médiation en cas de violences conjugales : “J’ai l’impression qu’on me pousse à abandonner mes droits” » , Axelle Mag, n°233, pp.12-18. URL : https://www.axellemag.be/mediation-violences-conjugales-temoignage/ (15/03/2023).
  • [39] « Justice réparatrice : réfléchir à un nouveau modèle de justice. », épisode du podcast Safe Place. URL : https://open.spotify.com/episode/2abo0o99J23bMZqAVUpSu0 (12/02/2023).
  • [40] Coker Donna « Transformative justice : anti-subordination processes in cases of domestic violence », in Braithwhite John et al. (eds), Restorative justice and family violence, 2002.
  • [41] « Se réparer, se reconstruire, après des violences conjugales. Ce que les femmes en disent. », op.cit. pp.9-15.
  • [42] della Faille Sandra et Legrève Joëlle, « Un autre regard sur la médiation pénale, celui de l’asbl Arpège-Prélude » dans Marchandise Thierry (dir.), Une autre justice possible ? La médiation dans tous ses états, Editions Larcier, Bruxelles, 2015, pp.106-128. URL : http://arpege-prelude.be/wp-content/uploads/2020/01/Contribution-Pr%C3%A9lude-M%C3%A9diation-P%C3%A9nale.site_.pdf (19/04/2023).
  • [43] Coker Donna « Transformative justice: anti-subordination processes in cases of domestic violence », in Braithwhite John et al. (eds), Restorative justice and family violence, 2002, p. 150.
  • [44] Les deux études de Vie Féminine et de Léonard Juliette citées dans cette étude.
  • [45] Coker Donna, op.cit. p.143.
  • [46] Citton Yves & Camille Noûs, « Pas de paix (sociale) sans justices (plurielles) », dans multitudes, n°88, op.cit, p.99.
  • [47] Il y a également des autrices de violences mais celles-ci représentent une minorité du public de Praxis. Nous emploierons donc le masculin pour désigner les auteurs.
  • [48] Extrait d’un entretien réalisé avec Louise Berré, intervenante psychosociale à Praxis, par nos soins.
  • [49] Numéro de la ligne d’écoute violences conjugales : 0800 30 030. URL : https://www.ecouteviolencesconjugales.be/.
  • [50] https://www.lesteki.be/evenement/rencontre-praxis-asbl-sur-laccompagnement-dauteurs-de-violences-conjugales-et-intra-familiales
  • [51] Louise ne s’exprime pas au nom de toute l’asbl et partage uniquement sa « position de travailleuse de terrain, subjective et biaisée. »
  • [52] http://www.asblpraxis.be/pour-particuliers/groupes-responsabilisation/pourquoi-une-aide-aux-auteures
  • [53] Pour comprendre l’inscription juridique du dispositif, voir : Libert Vincent, Jacob Anne, Kowal Cécile (dir.), L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, Harmattan Academia, Louvain-La-Neuve, pp.18-20.
  • [54] Voir : « Le parcours des combattants » film réalisé par Télévisions du Monde pour des témoignages d’auteurs ayant suivi une formation chez Praxis. URL : https://tdm-asbl.be/productions/le-parcours-des-combattants/?fbclid=IwAR1iL_f4-wDHfMN6hizW3jBToTM4Gg9QqqEM0oa146ee1s6SJso-MPGOXlg (19/04/2023).
  • [55] Sur le travail avec la contrainte, voir aussi : L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, op.cit., p.30.
  • [56] Voir aussi : Ibid, pp. 34-46.
  • [57] Voir aussi : Ibid, p.27.
  • [58] Voir « Quartier sous haute surveillance. Entretien avec des membres de Bruxelles Panthères », dans « Racisme et criminalisation : des populations dans le viseur », La Brèche, n°4, Automne 2021, pp.18-22 et « Je ne crois pas en la justice. Entretien avec Selma Benkhelifa, avocate des parents de Mawda », ibid, pp. 75-79.
  • [59] Coker Donna, op.cit.
  • [60] Jacob Anne, « La multiculturalité dans les groupes d’auteurs de violences conjugales et intrafamiliale » dans L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, op.cit., pp. 149-165.
  • [61] Coker Donna, op.cit., pp.143-146.
  • [62] Voir : L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, op.cit., pp.40-45 pour avoir une idée plus précise du déroulement des séances.
  • [63] Ibid. p.41.
  • [64] L’alexythimie est une difficulté à identifier et exprimer ses émotions.
  • [65] Coker Donna, op.cit., pp.146-148.
  • [66] Sur l’intérêt de la méthode groupale, voir aussi : L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, op.cit. p.28.
  • [67] Le suivi peut se faire de manière individuelle dans certains cas : pour les femmes si elles ne sont pas suffisantes pour former un groupe, pour « les hommes pour qui nous craignons que le groupe ne soit trop confrontant » et « les hommes, au contraire, dont nous craignons que les traits psychopathiques ou pervers ne fassent ‘exploser’ le groupe ou rendent son développement insécurisant pour les autres participants. Mais ces hommes-là n’accrochent que très difficilement avec un processus de changement quel qu’il soit. » L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, op.cit., p. 29.
  • [68] Pour d’autres exceptions où le suivi se fait de manière individuelle, voir : ibid.
  • [69] Pour aller plus loin, voir le rapport « Evaluation du dispositif concerté de lutte contre les violences entre partenaires », Engender ASBL, 2017. URL : http://actionsociale.wallonie.be/sites/default/files/documents/M_FINAL-Evaluation%20du%20dispositif%20concert%C3%A9%20de%20lutte.pdf.
  • [70] En référence à l’épisode « Que faire des hommes violents ? » du podcast de Charlotte Bienaimé, Un podcast à soi, Arte Radio, 15 octobre 2021, URL : https://www.arteradio.com/son/61668798/que_faire_des_hommes_violents.
  • [71] Vanneste Charlotte, « Récidive et violences conjugales. Balises pour la réflexion et enseignements d’une recherche sur le terrain belge », dans Mine Benjamin (Ed.), La récidive et les carrières criminelles en Belgique, Cahiers du GEPS N°6, 2021, pp. 161-189.
  • [72] Ibid, p.163.
  • [73] Ibid.
  • [74] Ibid. p.169.
  • [75] Ibid. p.170.
  • [76] Ibid. p.176.
  • [77] Ibid. p.178.
  • [78] Ibid. p.182.
  • [79] Ibid. pp.182-183.
  • [80] Ibid. p.183.
  • [81] Ibid. p.185.
  • [82] Ibid. p.186.
  • [83] Extrait de notre entretien avec Louise.
  • [84] Voir : « Violences conjugales : à Arras, un centre suit les hommes condamnés pour éviter les récidives », France 3 Régions, De Beaujon Clara, 30/11/2019, URL : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/arras/violences-conjugales-arras-centre-suit-hommes-condamnes-eviter-recidives-1756889.html (20/04/2023) et « Au centre Clotaire », une série d’articles du blog Rompre l’Emprise sur le centre Clotaire, URL : https://romprelemprise.blogs.esj-lille.fr/category/se-reconstruire/au-centre-clotaire/ (20/04/2023).
  • [85] Il y avait des projets de créations de plusieurs centres de ce type mais le covid a probablement ralenti ou freiné ceux-ci. Voir : «Grenelle des violences conjugales : le gouvernement veut créer des centres de prise en charge des hommes agresseurs », France Info, 24/11/2019, URL :  https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-edouard-philippe/grenelle-des-violences-conjugales-le-gouvernement-veut-creer-deux-centres-de-prise-en-charge-des-hommes-agresseurs-par-region_3717337.html, (20/04/2023).
  • [86] Commission communautaire française.
  • [87] L’aide aux auteur(e)s de violences conjugales et intrafamiliales, pp. 50-51.
  • [88] Comme le font par exemple les tenants de la justice transformatrice. A ce sujet, voir l’entretien avec le groupe de recherche matrisses, dans ce numéro.
  • [89] Vanneste Charlotte, op.cit. pp.182-183.
  • [90] « Rapport d’évaluation (de référence) du GREVIO sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul). Belgique », 21/09/2021, p.38. URL : https://rm.coe.int/rapport-du-grevio-sur-la-belgique-/16809f9a2b (22/04/2023)
  • [91] « Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre 2021-2025. Axes stratégiques et mesures clés. », p.7. URL : https://sarahschlitz.be/wp-content/uploads/sites/300/2021/11/20211125-PAN-2021-2025-clean-FR.pdf (22/04/2023).
  • [92] Ibid. p.53.
  • [93] Ibid. pp.54-57.